Il est 10h30. Trois quarts d'heure se sont écoulés depuis l'ouverture du procès. Enfoncée dans son siège, les lunettes posées sur le bout du nez, la voix nonchalante, la présidente d'audience appelle à la barre l'accusé n°5: Belaïz Djamel. L'homme, trentenaire, un brun moustachu, descend vite du box. Il se présente. Né le 8 mars 1971, à Bab El-Assa (localité frontalière de la wilaya de Tlemcen), c'est un célibataire sans-emploi. «C'est ce gars-là le fils du garde des Sceaux ?», chuchote une jeune étudiante de droit à l'oreille de sa copine. Et celle-ci, sur le même ton ironique: «Mais ma chère tu ne vois donc pas qu'ils se ressemblent comme deux gouttes d'eau!» Le procès des 5,5 quintaux de kif saisis à El-Amria (Aïn-Témouchent), en août 2009, ou ce qu'il conviendrait mieux d'appeler depuis le 19 juillet 2010: «l'affaire de l'homonyme du fils du ministre de la Justice Tayeb Belaïz », n'aura pas manqué décidément de susciter des commentaires satiriques, hier au Palais de Justice d'Oran, aussi bien dans les couloirs que dans le prétoire, tant l'histoire de l'implication du fils du ministre frisait le ridicule. Passons ces «à-côtés» cocasses du procès La genèse de cette affaire remonte au 21 août 2009. Ce jour-là, en patrouille sur la RN 2, reliant El-Amria à Sidi Bakhti, les gendarmes ont suspecté deux véhicules de marques Renault Mégane et Mercedes E-250. Une course-poursuite est déclenchée. Quelques minutes plus tard, la Mercedes est retrouvée abandonnée sur la route ; les hommes qui étaient à bord auraient rejoint leurs amis de la Mégane, qui s'est évaporée dans la nature. A la suite d'une fouille de la Mercedes, 550 kilos de kif ont été découverts. Mais aucun indice, sinon deux puces de téléphone mobile oubliées par les trafiquants dans le feu de l'action. De quoi permettre pourtant aux enquêteurs de remonter la filière. En effet, grâce à l'exploration de ces puces (historique d'appels, photos enregistrées dans la carte mémoire, etc.), les gendarmes sont parvenus à des noms déjà répertoriés dans les fichiers du trafic transfrontalier de drogue, parmi lesquels «Touala Omar», un gros caïd du kif activement recherché par les services de sécurité, impliqué dans plusieurs grosses transactions, dont celle des 8 quintaux de Bab El-Assa. Ce principal accusé en fuite est le présumé baron du cartel dont l'opération des 5,5 quintaux d'El-Amria porte la signature. En d'autres termes, la marchandise lui appartenait; il en est l'importateur via les frontières marocaines. Quant aux autres mis en cause, au nombre de huit, dont six détenus, ce sont soit des éclaireurs, des convoyeurs, des pourvoyeurs ou des dépositaires, selon l'accusation. Belaïz Djamel, omniprésent sur le fameux album de la clique, curieusement sauvegardé dans la mémoire d'une puce, en est un, selon la justice. Il a beau plaidé qu'il est loin de cette affaire, ses photos prises, quelques jours avant l'opération des 5,5 quintaux, avec le « big boss » du réseau, Touala Omar, à bord de deux véhicules haut de gamme aux faux papiers, ne plaidaient pas en sa faveur. Car, en plus du trafic de drogue, ce groupe faisait également dans la contrebande de carburant, le trafic de voitures volées en Europe puis transitant via l'Espagne et le Maroc, la contrebande de denrées alimentaires et autres produits de contrefaçon, d'après l'enquête. La perquisition opérée dans un kiosque situé à Bab El-Assa dans le sillage des investigations afférentes aux 5,5 quintaux de kif s'est soldée par une mince quantité de résine de cannabis et des comprimés psychotropes. Mais ce fut une preuve de plus quand même, une avancée pour l'enquête. La confrontation provoquée à la barre par la juge entre le propriétaire de cette échoppe (accusé détenu) et son ex-associé dans ce commerce (accusé détenu également) n'a pas tranché la question: «à qui, des deux hommes, appartenait la marchandise?» Aussi la responsabilité demeure-t-elle commune. Tout particulièrement, un des accusés, R.B., chauffeur de profession, n'a cessé de clamer son innocence, se présentant comme victime de cette bande, dont il n'en connaît aucun membre, qui a utilisé une photocopie de sa pièce d'identité pour s'octroyer une puce de téléphone, une des deux puces retrouvées dans la Mercedes en l'occurrence. La représentante du ministère public a requis la réclusion à perpétuité contre les accusés tout en bloc. A l'issue des délibérations, tous les accusés ont écopé de 20 ans de réclusion. Le tribunal criminel a assorti son verdict d'amendes et de saisies définitives des véhicules confisqués. Sur le plan de la procédure, il est utile de savoir que c'était le tribunal d'El-Amria (Cour de Sidi Bel-Abbès) qui a ouvert une information judiciaire, en date du 1er septembre 2009, sur cette affaire, puisque l'infraction avait eu lieu dans cette localité, avant la revendication du dossier par le parquet général d'Oran au profit du Pôle spécialisé, en date du 30 septembre 2009.