Bernard Kouchner, dont le départ du Quai d'Orsay est désormais une certitude, a voulu créer l'illusion que c'est à sa demande qu'il va être mis fin à ses fonctions. D'où cette lettre de démission qu'il aurait adressée il y a quelques semaines au président Nicolas Sarkozy, publiée par le Nouvel Observateur, mais que l'Elysée nie avoir reçu. Ainsi démenti, le très provisoire encore ministre des Affaires étrangères va claquer la porte en quittant le gouvernement avant le remaniement ministériel à intervenir dans les semaines à venir. Quoi qu'il fasse pourtant, Bernard Kouchner partira de son poste plus décrié encore qu'il ne le fût à son arrivée. Pour beaucoup, Kouchner s'est démonétisé en trahissant son camp politique en contrepartie du prestigieux portefeuille des Affaires étrangères. Pour plus nombreux encore, il a ravalé celui-ci à une fonction honorifique en s'effaçant sans dignité devant les empiètements auxquels se sont livrés les conseillers de l'Elysée sur ses prérogatives. Qu'il s'avoue aujourd'hui avoir été humilié par leurs comportements ne redorera nullement son blason, qu'il a lui-même d'abord terni en se révélant être un homme de spectacle plutôt qu'un diplomate averti. Jamais ministre français des Affaires étrangères n'a rabaissé et fait douter de la diplomatie de son pays autant que lui. Rien de ce qu'il a entrepris au nom de celle-ci n'a abouti, si ce n'est fourvoyer la politique extérieure française par des prises de positions et des déclarations contraires à l'image que ses prédécesseurs ont donnée de cette politique au monde. Il ne laissera pas de ce fait un souvenir impérissable sur cette arène diplomatique internationale où il a tant voulu briller. Pas auprès des Algériens en tout cas, qui constatent que son passage à la tête du Quai d'Orsay a enfoncé les relations algéro-françaises dans une brouille dont il a savamment entretenu la permanence. Lesquels observeront avec une ironie jubilatoire que le départ de ce personnage, ne portant pas dans son cœur leur pays, pourrait intervenir en novembre, mois éminemment symbolique pour la génération d'entre eux dont il a dit qu'il faut attendre qu'elle quitte le pouvoir pour voir les relations algéro-françaises s'apaiser et se normaliser. Il ne sera pas non plus regretté par ceux qui ont eu à pâtir du «droit d'ingérence» dont il a été le héraut et le défenseur à géométrie variable. Pas non plus par ceux dont la politique française a bafoué les droits humains et la dignité sans que sa voix prétendument «humaniste» s'élève pour les défendre. Un autre ministre français, conséquent celui-là avec ses principes, a dit : «Un ministre français ferme sa gueule ou il démissionne». Kouchner a fermé la sienne et donné sa caution à des décisions qui ont fait voler en éclats le mythe de la France «patrie des droits de l'homme». Sa pseudo-lettre de démission n'est qu'une vaine tentative de sa part de se donner le beau rôle dans les circonstances de son départ du Quai d'Orsay. De bout en bout dans son compagnonnage avec Nicolas Sarkozy, Bernard Kouchner n'a été que le «citron» que le locataire de l'Elysée a pressé par calculs politiciens et s'empresse de rejeter une fois son jus tari. C'est finalement marquer un intérêt immérité à ce personnage que de lui avoir consacré le contenu de cette contribution.