Il l'a fait. Bernard Kouchner a franchi le rubicond. L'ancien ministre de la Santé de François Mitterrand a accepté de rentrer dans le gouvernement de François Fillon. Depuis vendredi, il est ministre des Affaires étrangères et européennes. Il est le plus connu des quatre personnalités de gauche débauchées par Nicolas Sarkozy. Le couperet est tombé de suite. Le Parti socialiste l'exclut de ses rangs. Celui qui a comparé Nicolas Sarkozy à Silvio Berlusconi crée une grande polémique. Ses amis d'hier seront ses prochains, ses principaux adversaires. Ils n'hésitent pas à parler de trahison. La présence de personnalités de gauche au gouvernement est qualifiée d'ouverture par la droite et de débauchage par la gauche. « L'opération de Nicolas Sarkozy est d'abord une opération de débauchage, l'objectif n'était pas de venir alimenter la politique du gouvernement de personnalités nouvelles, mais d'affaiblir le PS pendant la campagne des législatives. Ceux qui ont accepté cette offre de Nicolas Sarkozy ont fait le choix d'affaiblir le camp auquel ils appartenaient et auquel ils devaient tout », explique le porte-parole du PS, Benoît Hamon. A 67 ans, celui qui a fait toute sa carrière, rejoint sans état d'âme et avec armes et bagages son adversaire honni d'hier. Le fondateur de Médecins sans frontières partage avec son nouveau patron une admiration sans faille pour les Etats-Unis. « Avec Sarkozy et Kouchner aux commandes au lieu de Chirac-de Villepin pendant la crise irakienne, nous serions actuellement embourbés en Irak. Ils sont tous les deux des atlantistes zélés », note un observateur. Les deux hommes divergent pourtant sur de nombreux points. Le « French doctor » a qualifié entre les deux tours de « dérive historiquement scandaleuse » la création d'un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale. Aujourd'hui, cela n'a pas l'air de lui poser problème de siéger avec Brice Hortefeux, ministre le l'Immigration de l'Identité nationale et du co-développement. Autre point d'achoppement. Bernard Kouchner est pour l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Le président Sarkozy est résolument contre. « Ceux qui ont accepté, quelles que soient leurs origines politiques, de venir dans ce gouvernement, ça veut dire qu'ils ont accepté le jugement qui est celui des Français : mettre en œuvre une politique pour laquelle il y a désormais une légitimité extrêmement forte. Ce sera un gouvernement libre, ce sera un gouvernement ouvert, mais je le dis à la fois aux Français et aux membres de mon gouvernement, ce sera un gouvernement qui mettra en œuvre scrupuleusement le projet politique du président Sarkozy », l'avertit François Fillon. La marge de manœuvre du nouveau locataire du Quai d'Orsay est des plus réduites. Lâché par ses amis, rappelé à l'ordre par ses patrons, il risque de jouer longtemps à l'équilibriste. « J'estime essentiel pour la France que le ministère des Affaires étrangères soit fort, doté de moyens suffisants de conception et d'exécution, et que son rôle central dans l'ensemble des négociations que nous avons à mener pour défendre nos intérêts et promouvoir nos valeurs soit reconnu. J'ai constaté que ce qui était prévu était différent », explique Hubert Védrine, longtemps pressenti pour le même poste mais qu'il a refusé. L'ancien ministre des Affaires étrangères de Lionel Jospin laisse entendre que Nicolas Sarkozy ne veut pas d'un ministère fort et explique qu'entrer dans un gouvernement de droite lui « aurait posé un sérieux problème politique de principe ». Bernard Kouchner balaie ces critiques d'un revers. « J'ai toujours été et je demeure un homme libre, militant d'une gauche ouverte, audacieuse, moderne, en un mot social-démocrate. En acceptant aujourd'hui de travailler avec des gens qui sur bien des sujets ne pensent pas comme moi, je ne renie pas mes engagements socialistes. Je sais que certains de mes amis me reprochent ce nouvel engagement. A ceux-là, je réclame crédit : mes idées et ma volonté restent les mêmes. S'ils me prennent un jour en flagrant délit de renoncement, je leur demande de me réveiller ». Ses amis ont fait mieux que ça : il ne fait plus partie de la famille et lui ont retiré leur amitié.