Le livre de Pierre Péan sur Bernard Kouchner, dans Le Monde selon K. (éditions Fayard), paru mercredi 4 février, a soulevé une très vive polémique au sein de la classe politique et dans le milieu médiatique, et ce, bien avant sa sortie en librairie. C'est la probité de la personnalité française la plus populaire qui est visée dans cet ouvrage. Bernard Kouchner s'est dépensé en interviews, déclarations après avoir été entendu à l'Assemblée nationale pour réfuter les accusations portées contre lui. Paris. De notre bureau Ala séance « Questions au gouvernement de l'Assemblée nationale », mercredi, le député PS Jean Glavany a pris la parole : « Nous ne sommes ni juges ni procureurs. La démocratie a ses exigences, un besoin de transparence. » Au ministre des Affaires étrangères, il demande des « explications ». « On met en cause mon intégrité, l'engagement de toute une vie. […] J'ai toujours été du côté des victimes. Qu'ai-je fait au Biafra, au Kosovo, au Rwanda ? », en dénonçant « un livre fait d'amalgames et d'insinuations ». « A aucun moment, je n'ai fait de mélange des genres », a-t-il dit, assurant que son intervention en tant qu'expert au Gabon pour la création d'un système d'assurance-maladie s'est faite « en toute transparence et légalité ». « La première fois que j'ai rencontré le président Bongo après avoir été nommé ministre, c'était pour lui dire que je ne pouvais plus m'occuper de la sécurité sociale du Gabon. Ce n'est pas à moi que le Gabon devait de l'argent. Péan n'a aucune preuve de ce qu'il avance », a dit Kouchner au Figaro et au Nouvel Observateur. Le ministre rejette aussi en bloc les reproches liés à sa politique à l'égard de la Serbie, de la Birmanie et du Rwanda. Sur le Rwanda, « moi, j'étais présent sur place et j'ai vu des gens tués à la machette, les massacres, les fosses communes. Je récuse la thèse du double génocide. Je pense que c'est faux ! Qu'il y ait eu des massacres de retour, des exactions, c'est sûrement vrai. Il y a eu sous nos yeux toute une partie du peuple, majoritaire, qui s'est précipitée sur l'autre et qui l'a tuée », a-t-il déclaré au Figaro. « Il y a un certain nombre de passages et d'expressions très précises, qui ne sont pas là par hasard, qui m'accusent de personnifier la contre-idée de la France, c'est-à-dire l'anti-France, le cosmopolitisme », a dit Bernard Kouchner devant les députés. Une manière de sous-entendre que le livre de Pierre Péan est antisémite. « Moi-même, je suis d'origine juive. Ce n'est pas la partie de la réponse de Bernard Kouchner que j'ai appréciée le plus », a déclaré le député socialiste Pierre Moscovici, qui aurait préféré que le ministre réponde, « précisément, à des allégations précises ». « Je pense que Bernard Kouchner ne doit pas s'en sortir en disant : ‘'Tout cela, c'est de l'antisémitisme.'' Ce n'est pas vrai », estime de son côté Jean Glavany. Et d'ajouter : « C'est une première étape, mais j'ai l'impression que cela ne va pas s'arrêter là. » « La réponse de Kouchner a été très évasive sur les faits qui lui sont reprochés », juge, pour sa part, le député PS de la Nièvre Christian Paul. « Il a appelé son histoire en renfort pour défendre sa cause, explique-t-il au point.fr, mais son histoire, on la connaît. Il avait une fenêtre de tir pour s'expliquer, c'est décevant ! » Quant à la première secrétaire du PS, Martine Aubry, elle a simplement affirmé : « Je n'ai aucune raison de ne pas croire Kouchner », qui « s'est défendu mercredi de tout mélange des genres », refusant de s'exprimer sur le livre. A droite, l'UMP fait bloc derrière Bernard Kouchner, alors que le président Sarkozy et le Premier ministre François Fillon l'assurent de leur confiance. Une question d'éthique et de morale Pierre Péan accuse notamment Kouchner de mélanger des intérêts privés et publics. Il a précisé mercredi qu'il ne reprochait « rien d'illégal » à Bernard Kouchner, mais plutôt d'être en décalage avec ses principes moraux. Il note dans son ouvrage que Kouchner effectuait ses missions de consulting pour Bongo, alors même qu'il dirigeait le groupement d'intérêt public, Esther (Ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau), associant des établissements des pays du Nord à ceux du Sud. Le fondateur de Médecins sans frontières avait été nommé à ce poste en novembre 2003 par le Premier ministre de l'époque, Jean-Pierre Raffarin, et Esther bénéficiait de fonds importants alloués par le gouvernement français. Selon Pierre Péan, Bernard Kouchner a mené ces activités de consulting pour deux sociétés privées, Africa Steps et Iméda, gérées par deux proches. Pierre Péan affirme que ces sociétés ont vendu pour près de 4,6 millions d'euros de contrats de conseil sur la réforme des systèmes de santé au Gabon du président Omar Bongo Odimba et au Congo de Denis Sassou Nguesso. Selon l'auteur du livre, une partie de ces sommes n'a été recouvrée par les sociétés qu'après l'entrée en fonctions de Bernard Kouchner au Quai d'Orsay, le 18 mai 2007. En août et surtout en septembre 2007, alors qu'il a déjà été nommé ambassadeur de France à Monaco, Eric Danon, l'un des gestionnaires des deux sociétés en question envoie des lettres de relance aux autorités gabonaises, dont le site Bakchich s'est procuré les fac-similés. Interrogé par Le Monde, Danon en a confirmé l'authenticité, tout en affirmant qu'il s'agissait de simples « actes de gestion ». Finalement, le reliquat de 817 000 euros aurait été réglé en deux fois par les autorités de Libreville en 2008. En mars, le secrétaire d'Etat à la Coopération, Jean-Marie Bockel, est muté par Nicolas Sarkozy aux Anciens-Combattants après s'être élevé contre les piliers de la « Françafrique ». Pierre Péan précise, dans son livre, que le président Sarkozy ignorait, au moment de la nomination de Bernard Kouchner, l'existence de telles prestations et de telles factures en souffrance.