Entre côté cour et côté jardin, le secteur de la pêche se cherche encore. Côté jardin, c'est l'image officielle d'un créneau en plein essor pour lequel des investissements colossaux ont été débloqués dans le seul but de revaloriser le métier de la pêche. Côté cour, c'est ce tableau noir décrit par les gens du métier qui fait fuir les plus aguerris, tellement la situation est catastrophique et les lois protégeant la faune et la flore sont bafouées. Actuellement, le secteur est l'otage d'une «mafia», selon les professionnels, qui fait la pluie et le beau temps au détriment des marins pêcheurs qui se sentent appauvris de jour en jour. Si le prix du poisson est monté à un plafond jamais atteint, si la pièce détachée des bateaux et chalutiers est introuvable sur le marché et, pour couronner le tout, la production halieutique est passée de 400.000 tonnes par an dans les années précédentes à 187.000 tonnes seulement actuellement. Cet état de fait trouve son explication dans la façon dont est géré le secteur de la pêche et les problèmes qu'affrontent les marins pêcheurs. C'est cette situation chaotique que dénonce le Comité national des marins pêcheurs, tout en interpellant le gouvernement à intervenir pour remettre les pendules à l'heure. Avec une côte longue de 1.284 km, 31 ports de pêche, plus 42.000 unités de pêche et 52.000 marins pêcheurs, tous les facteurs sont réunis pour faire de la pêche un secteur rentable et productif. Or, estime le président du comité, les choses ont pris une tournure désastreuse dans le secteur, qui fait peser lourdement la menace sur la profession. Le président du comité dénonce la flambée des prix du poisson, qui n'est que le résultat du monopole du marché détenu par les intermédiaires. Du producteur au consommateur, le poisson passe entre plusieurs mains et entre chaque main, la facture augmente. «Les transactions commencent à 4 h du matin. A partir de cet heure, la vente passe d'un intermédiaire à l'autre jusqu'à ce qu'au bout de la chaîne, le marin pêcheur et le consommateur se retrouvent avec un produit hors de prix», explique le président du comité. L'autre situation à dénoncer pour ce syndicat est la pêche illicite qui fait des ravages malgré les interdictions par des textes de loi. Bien que l'Algérie soit signataire de la Convention de Barcelone, la pêche des espèces protégées continue sur nos côtes, souligne notre interlocuteur. «C'est la pêche avec les filets dérivants qui menace actuellement les mammifères marins tels les dauphins et les cachalots. Entre 2007 et 2010, 9 dauphins, une tortue géante, une baleine et un cachalot ont été capturés puis vendus sur le marché. Les dauphins sont prisés pour leur foie, qui, dit-on, est recommandé pour les malades du cancer. Malgré le fait qu'ils soient protégés par la loi, ils sont massacrés par les prédateurs», nous dira le président du comité. La pêche du corail, pour sa part, vendu à 800 euros le kilo, et la pêche à la dynamite, qui sont toujours d'actualité, continuent à gangrener le secteur. Pourtant, des lois existent mais elles ne sont pas appliquées pour arrêter le massacre. Evoquant le problème de la pièce détachée, le même interlocuteur est affirmatif : elle est introuvable sur le marché depuis que l'entreprise de construction et de réparation navale ECOREP a été dissoute avec toutes ses filiales implantées à travers 14 wilayas. Seule la filiale de Bouharoun de Tipaza est encore ouverte. Les marins pêcheurs sont, depuis, à la merci du privé. Quand elle est disponible, la pièce détachée est payée au prix cher, au point où les gens du métier ont été contraints, pour certains, de vendre les bijoux de leurs épouses pour régler la facture salée. A propos de l'investissement dans le secteur, notre interlocuteur le qualifie de poudre aux yeux, considérant ces investissements d'«arnaque», car «ces investisseurs font des factures pro-format truquées pour des bateaux qui coûtent des milliards. Tous ces investissements ne sont pas initiés pour l'intérêt du secteur». Une autre escroquerie dont ont été victimes les marins pêcheurs d'Oran, souligne le représentant du comité à Oran, est celle de la construction de bateaux par un fabricant algérien. Plus de 80 marins pêcheurs dans le cadre du dispositif de la CNAC et de l'ANSEJ ont versé des apports personnels d'un taux de 10% à cet investisseur, pour des bateaux et chalutiers qui coûtent entre 350 millions de centimes et un milliard et qui ont été escroqués après que le fabricant eut quitté le pays sans honorer les commandes. L'affaire est actuellement entre les mains de la justice. Pour tous ces problèmes que vivent les professionnels du secteur, les deuxièmes assises de la pêche, prévues aujourd'hui à l'hôtel Hilton d'Alger, vont-elles apporter les solutions et élaborer une feuille de route qui remettra la pêche sur les rails ?