C'est une question qui revient à chaque fois que le chroniueur écoute un homme politique faire un discours. Ouyahia à l'APN, Bouteflika à Ouargla, Belkhadem à n'importe quoi, Ould Abbas face à une seringue. La question est : c'est quoi le but d'être algérien quand on est algérien ? Qu'est-ce que ? Cela doit viser quoi dans la création ? Est-ce que c'est subi ou c'est désiré ? Qu'en faire ? La question vaut pour la notice d'emploi d'un médicament comme pour la destinée collective. Lorsqu'on l'a défini, le monde devient routes et pas dos-d'âne. Le muscle soulève et le dos devient le pivot de la montagne. Avant, le but était d'avoir un pays et de le libérer de la colonisation. Ensuite, le but était de s'en remettre et de prendre le pouvoir et vite. Ensuite, avec Boumediene, le but était celui des modes des décolonisations et des socialismes triomphants : le bonheur, l'utopie égalitaire, l'autosuffisance alimentaire, l'exportation hors hydrocarbures. Dès Chadli, on a un peu révisé à la baisse les buts : le logement pour tous, des salaires, des fruits en dessert et l'équilibre des budgets. Le but algérien, à titre individuel, était de survivre à la pénurie, lutter pour l'œuf, avoir un salaire ou un lot de terrain. Mais aujourd'hui ? Qu'est-ce le but lorsqu'on a survécu la décennie 90 et que c'est comme avant 90 ? Retour donc : C'est quoi le but quand on est algérien ? Qu'est-ce qui doit se passer quand on a enfin un logement, de l'argent, une femme et des enfants ? Qu'est-ce qu'il faut faire après ? Qu'est-ce qui doit se passer après l'assouvissement ou le contentement ou après avoir baissé ses bras et ceux de ses enfants ? Qu'est-ce qu'on doit attendre, chercher ou trouver après l'indépendance (collective ou individuelle) ? Qu'est-ce qu'on doit faire quand les Chinois auront tout construit ? On ne sait pas. On peut, en effet importer un tracteur, un micro ordinateur, une route ou des experts mais on ne peut pas importer un but ou le construire par appels d'offre et budgets de relance. Depuis quelques années, on a payé la dette, on a de l'argent mais nous n'avons pas le but. Le fameux. Celui que visait l'indépendance avec ses fusils sans lunette et qu'elle a raté de si peu qu'on en reste frustré. On est triste et dans le malaise et sans rires. Il nous manque quelque chose. Une sorte d'Oum Dourmane céleste ou de Soudan sensuel. Bien sûr il y a des buteurs dans quelques catégories de la pensée nationale mais ils sont maladroits ou tricheurs. Le Pouvoir, par exemple, nous dit à chaque élection que le but est la prochaine élection. Dès qu'on a élu Bouteflika, tous se sont mis à parler de l'après Bouteflika comme étant le but tout à fait légitime de Bouteflika. Un président devant se consacrer, dès son élection, à sa succession. Le but depuis quelques années, n'est plus de construire des pays de destinations finales mais seulement d'assouvir les besoins alimentaires de leurs peuples pour éviter les émeutes et l'instabilité. Le but n'est pas de rêver mais de manger et de s'asseoir en mangeant. Le but est de contrôler les peuples pas de les libérer comme durant les années 70. Les islamistes expliquent eux aussi que le but n'est pas de prendre le pouvoir, mais de l'attendre. Parce qu'il a des armes et peut faire mal comme avec le FIS. Ceci pour le domaine du politique. Pour celui de la vie courante, ils disent que le but de la vie n'est pas la vie, mais son au-delà. Du coup, on est dans le malaise : il est demandé à un Algérien d'inscrire un but, avec cinq ballons par jour, avec son pied en visant un filet et un gardien invisibles muni d'immenses gants dans l'après vie. Le score ne pouvant être connu, lui aussi, qu'après la vie. Ce n'est pas un but donc mais seulement un pari. Et cela laisse insatisfait même avec une dizaine d'ablutions par jour. Que disent les démocrates ? Le but c'est le pouvoir. Pas le prendre mais le prendre par les cheveux, le juger, le punir, le renvoyer. Un jour, chaque Algérien sera président, général major, DGSN, DRS avec cigare et chef d'entreprise et imam libéré et heureux. Oui, mais c'est tellement loin que les Algériens se sont détournés de cette utopie légitime mais sidérale qui demande trois vies pour en avoir une seule. Il y aussi d'autres buteurs : la Qaida du Maghreb propose des buts internationaux mieux payés : prendre des otages et reprendre l'Andalousie. On a aussi les buts de corner : prenez une femme, épousez là, faites des enfants et nourrissez les longuement jusqu'à la mort. C'est un but qui permet d'oublier que la vie a un but. C'est comme pour la harga : le but est de changer de stade pour espérer un but. Au fond, donc, le malaise est profond : en Algérie on n'a pas de métaphysique, pas de philosophes et plus d'utopies valables. D'où cet ennui source d'émeutes ou de rapine et reflux de la libido. Ce peu de consistance des livres, cette tiédeur de l'hymen et de l'amour. Cette laideur esthétique et ce manque d'élégances et de ferveurs. Car c'est le but qui donne le ton à la peinture, l'art ou le trottoir. Quand on a un but, le monde est un ballon, pas un caillou. En Algérie, pas un seul n'a réussi à trouver un but valable pour provoquer l'amour ou l'enthousiasme et la mobilisation. On le dit partout « Personne n'y croit ». Du sommet du pouvoir à Oued-Astra. A quoi ? Au but du vent actuel.