Les Tunisiens maintiennent la pression contre l'Etat-RCD et continuent à se mobiliser pour éviter le « vol » de la révolution. Alors que les responsables réunis à Charm El Cheikh s'inquiètent d'une possible contagion, les Tunisiens tentent une traque de la fortune mal acquise du clan Ben Ali-Trabelsi. Les Tunisiens font preuve d'une vigilance extrême pour éviter le détournement du cours de la révolution et ils ne veulent pas laisser le parti de Ben Ali, le RCD, Rassemblement constitutionnel démocratique, neutraliser le mouvement. Le gouvernement «d'Union nationale», où le RCD s'est vu octroyer tous les ministères régaliens, s'est heurté à cette rue frondeuse décidée à ne pas se laisser voler sa révolution. L'UGTT a été la première à prendre le pouls de l'opinion en ordonnant aux membres du syndicat choisis pour figurer dans ce gouvernement de s'en retirer. La centrale syndicale a d'ailleurs décidé de se retirer de toutes les structures de représentation du régime. A la suite des trois membres de l'UGTT qui ont obtempéré à l'injonction de leur centrale, l'opposant Mustafa Ben Jaafar, du Forum démocratique pour le travail et les libertés, nommé à la Santé, a suivi le mouvement, tout en laissant entendre qu'il pourrait réintégrer le gouvernement. Si Ben Jaafar n'a pas fermé la porte à une réintégration du gouvernement, l'UGTT, elle, campe sur ses positions. L'hésitation de Ben Jaafar est intervenue à la suite de l'annonce que le président tunisien par intérim, Foued Mebazaa, et le Premier ministre Mohamed Ghannouchi ont renoncé à leurs fonctions au sein du RCD. Le parti au pouvoir tente d'ailleurs de se donner une autre apparence en décidant de «radier» de ses rangs l'ex-président Ben Ali et six de ses collaborateurs. Cela n'a pas empêché le renouvellement, mercredi, des manifestations à Tunis et dans de nombreuses villes du pays pour protester contre le gouvernement de transition. « Nous voulons un nouveau Parlement, une nouvelle Constitution et une nouvelle République» , «Peuple, révolte-toi contre les partisans de Ben Ali», scandaient les manifestants encerclés par un dispositif important des forces de l'ordre. «Nous nous sommes débarrassés du dictateur, mais pas de la dictature». Des manifestations similaires se sont déroulées à Sidi Bouzid, Regueb, Ben Guedane, Kasserine et d'autres régions du pays qui ont été à la pointe de la révolte populaire. Deux heures de couvre-feu en moins Le gouvernement a décidé d'alléger le couvre-feu de deux heures et il s'appliquera désormais de 20 heures à 5 heures du matin. Mais le gouvernement très contesté de Ghannouchi a décidé de maintenir l'interdiction de rassemblement sur la voie publique de plus de trois personnes. Cela n'a pas empêché les Tunisiens de manifester contre un gouvernement à dominante RCD qui leur donne le sentiment d'un retour en arrière. Même ceux qui ne veulent pas exclure le RCD du processus politique considèrent qu'il est inacceptable de lui accorder un poids prépondérant de nature à renforcer ses positions dans les rouages de l'Etat et du pouvoir. La réunion du «gouvernement de transition», prévue pour mercredi, a été reportée à jeudi, mais même ce rendez-vous était incertain. Il devrait examiner en premier une «loi d'amnistie générale». Il n'en reste pas moins que l'un des plus importants enjeux d'un gouvernement de transition en charge de préparer des élections présidentielles et législatives durant les six prochains mois est celui de la séparation de l'Etat du quasi-parti unique qu'était le RCD. Les «gestes» du chef de l'Etat par intérim et du Premier ministre de renoncer à leurs fonctions n'impressionnent pas outre mesure l'opposition. Celle-ci constate, pour le rejeter, que ce sont des ministres en fonction sous Ben Ali qui vont avoir la mission d'organiser la transition et les élections. Ils ont quelques excellentes raisons de douter de leur neutralité. Beaucoup de Tunisiens auraient souhaité que Ben Ali soit jugé. L'issue paraît improbable mais les Saoudiens ont fait savoir - mince consolation pour les victimes de l'arbitraire - que le président déchu ne pouvait se livrer à des activités politiques. Son accueil «ne peut conduire à une quelconque activité (de Ben Ali) sur la Tunisie depuis le territoire saoudien», a indiqué le ministre saoudien des Affaires étrangères en soulignant que sa présence dans le royaume s'accompagne «de conditions et de restrictions. Aucune action ne sera autorisée», a-t-il ajouté. La «richesse» de Zine et Leïla De son côté, la Suisse a décidé de bloquer d'éventuels fonds appartenant à Zine El Abidine Ben Ali dans la Confédération. En Tunisie même, une enquête judiciaire pour «acquisition illégale de biens» et «placements financiers illicites à l'étranger» a été ouverte contre Ben Ali et sa famille, a annoncé mercredi l'agence officielle TAP. L'enquête est ouverte pour «l'acquisition illégale de biens mobiliers et immobiliers», les «placements illicites à l'étranger» et «l'exportation illégale de devises», a précisé l'agence, citant une «source autorisée». Ces enquêtes visent nommément l'ancien chef d'Etat, sa femme Leila Trabelsi, «les frères et gendres de Leila Trabelsi, les fils et les filles de ses frères». Ce sont les deux clans «présidentiels» qui ont mis en coupe réglée le pays depuis 23 ans. Les hommes d'affaires tunisiens ont d'ailleurs commencé à retirer leur argent de la Banque Zitouna, de Sakher El Materi, époux de Nesrine Ben Ali. Selon Business News, les agences de la banque sont en train de perdre «un million de dinars par jour et par agence». Les assurances données par les dirigeants de la Banque qu'elle allait être nationalisée n'ont pas calmé les appréhensions des clients. Selon Business News, ce ne sont pas seulement des clients ordinaires qui retirent leur mise de la banque mais aussi de «gros » clients, des hommes d'affaires qui ont ouvert des comptes à la Banque Zitouna, par opportunisme et qui ont retiré leur argent. Le juge Mehrez chassé La Banque serait à court de liquidités et pourrait se retrouver dans une situation de faillite. Autre chute enregistrée, celle de Hédi Djilani qui a présenté sa démission de la présidence de l'Utica, la centrale patronale tunisienne. Il n'est pas le seul à faire les frais de sa proximité avec le système Ben Ali. L'un des symboles le plus zélé du Bénalisme, le juge Mehrez Hammami a dû quitter le palais de justice sous la pression de magistrats et avocats du barreau de Tunis qui le houspillaient en pleine salle d'audience. Mehrez Hammami avait la main lourde contre les opposants. Il avait infligé une lourde peine à l'avocat Mohamed Abbou en 2005. Celui-ci avait publié des articles sur Internet dont l'un faisait une comparaison entre les prisons tunisiennes et Abou Ghraïb en Irak, où des soldats américains ont torturé et humilié des prisonniers irakiens.