Le gouvernement a paré au plus urgent dans la tempête début janvier. Il a dû avaler sa feuille de route économique pour allumer des contre-feux. Ses choix de politique économique sont illisibles. La présidence de la République enquête auprès du privé sur de «nouvelles pistes de croissance». Le Premier ministre fait profil bas. Le tout sur fond de pression sur Cevital, le plus grand des privés. Abdelhamid Temmar est de retour. L'évanescent ministre en charge de la Prospective a reçu, sur son initiative, une délégation de chefs d'entreprise algériens pour «réfléchir ensemble» sur l'avenir de l'économie nationale. Premier constat, le désamour vis-à-vis du secteur privé est toujours là : «nous sommes globalement déçus par les performances du privé national» est l'appréciation la mieux partagée dans le gouvernement. Elle est relayée avec insistance par l'ancien ministre de l'Industrie et de la Promotion de l'Investissement. Pour le reste, le débat a tourné autour des conditions d'un essor de l'activité productive du secteur privé. Avec comme arrière-plan l'attaque, à peine voilée, conduite par les officiels contre le groupe Cevital, désigné, de manière sommaire, comme monopole, source des tensions sur les deux produits de base que sont le sucre et l'huile. La recherche de la concertation ira-t-elle jusqu'à l'organisation d'une conférence nationale économique et sociale, comme le suggèrent de nombreux économistes et hommes d'affaires ? Rien n'est moins sûr. Le président Bouteflika veut, pour le moment, enquêter par ses propres canaux au sujet du malaise dans le monde des affaires. En retour, les chefs d'entreprise ont peu d'espoir d'infléchir le cours engagé par la loi de Finances complémentaire 2009. Pour un autre investisseur privé algérien, non concerné par la rencontre avec le ministre, « ce n'est sûrement pas en parlant avec le ministre en charge de la Prospective que nous allons lever les contraintes sur l'entreprenariat en Algérie. Abdelhamid Temmar ne parle quasiment pas avec le Premier ministre Ahmed Ouyahia, le seul qui met en œuvre des décisions et qui, lui, semble en retrait depuis la crise des émeutes. Il ne va sûrement pas changer quoi que ce soit à ce qu'il a fait jusqu'à maintenant sans instructions présidentielles». Le circuit décisionnel d'une inflexion de politique économique et laquelle ? prendra du temps. Or l'intensité de la colère déployée dans les rues du pays entre le 5 et le 9 janvier derniers a rendu les réponses urgentes. La série dramatique des immolations est venue ajouter à l'obligation de résultats pour l'Exécutif sur le front économique et social. L'affaire Cevital complique la lisibilité La crise de début janvier 2011 a donc rendu un peu plus illisible l'action économique du gouvernement. Son inversion des priorités a laissé pantois les observateurs. La lutte contre le gonflement des importations et la réduction de la part de l'informel sont devenues secondaires. Le choix de réduire les parts de Cevital, un producteur national, sur les marchés de l'huile (60%) et du sucre (70%) est apparu comme une nouvelle priorité persistante au-delà des besoins immédiats de trouver un bouc émissaire face aux émeutes. Deux semaines sont passées et les langues se délient au sujet des décisions prises dans le feu de l'action, et qui, mises bout à bout, prennent l'allure d'ouverture d'un nouveau front intérieur contre Cevital par les autorités. Il se trouve justement, selon de nombreuses sources, que les décisions du ministre du Commerce Mustapha Bendaba et celles du conseil interministériel du samedi 8 janvier ont été inspirées par des orientations de la présidence de la République. Le gouvernement en a perdu sa feuille de route, dominée depuis deux ans par la promotion de la substitution aux importations par la production nationale. Issad Rebrab, le PDG de Cevital, décidé à se défendre, a affirmé cette semaine à Maghrebemergent, en marge d'une journée d'études d'Ernest and Young sur les circuits de distribution, que «l'importateur est beaucoup plus favorisé que le producteur» par les nouvelles décisions de défiscalisation touchant l'huile et le sucre. Mais qui a donc intérêt à torpiller des choix de politique économique la restriction des importations forgés dans l'adversité depuis deux ans ? «Il y a effectivement certains importateurs qui ont des sponsors qui les soutiennent, c'est certain Enfin, j'imagine, sinon comment voulez-vous expliquer que de telles décisions et de telles lois économiques soient adoptées et mises en place ?» répond Issad Rebrab. Paradoxe supplémentaire, Abdelhamid Temmar voulait s'enquérir, auprès des acteurs de l'économie, des conditions de décollage de la création d'emplois dans le secteur privé.