Pars, dégage. Des millions d'Egyptiens l'ont redit, hier, à la place Al-Tahrir, au Caire et dans de nombreuses villes du pays, à Hosni Moubarak qui n'invoque plus que le « risque de chaos » pour s'accrocher au pouvoir. C'est la nation tout entière qui pousse vers la sortie un Moubarak dépassé par l'histoire mais qui continuait encore à s'accrocher. C'était le «vendredi du départ». Place Al-Tahrir au Caire et dans de nombreuses villes du pays, les Egyptiens ont réaffirmé avec une détermination renouvelée leur exigence du départ immédiat de Hosni Moubarak. Ils étaient encore plus nombreux qu'au «vendredi de la colère». Ni les attaques, odieuses, des baltaguis armés et manipulés par les ploutocrates du parti du pouvoir, ni les appels, menaçants, du pouvoir aux Egyptiens à rester «chez eux», ne les ont dissuadés. L'irruption des gros bras du parti au pouvoir a eu un effet contraire. Même ceux qui, par sentimentalisme, étaient enclins à laisser Moubarak aller jusqu'au bout de son mandat se sont ravisés. Beaucoup exigeaient même qu'il soit jugé. La tentative de contre-révolution menée via les baltaguis est imputée aux hommes d'affaires du PND qui craignent de devoir rendre des comptes en cas de changement de régime. Les manifestants ont payé de leur sang pour préserver la place Al-Tahrir que les baltaguis voulaient faire taire. Ils ont tenu ce bastion de la révolution. La bataille d'Al-Tahrir a fait une dizaine de morts et plus de 900 blessés. Selon un bilan non confirmé de l'ONU, les violences de la première semaine de contestation en Egypte ont déjà fait au moins 300 morts et des milliers de blessés. Hier, ce sont près de deux millions de personnes qui ont afflué à la place Al-Tahrir et ses environs. Ni les manifestations de soutien à Moubarak organisées par le parti au pouvoir, ni les attaques violentes des éléments de la pègre locale achetés par les ploutocrates du parti n'ont eu d'effet. Le vendredi du départ a été une démonstration écrasante que l'Egypte a totalement basculé dans la révolution. «Nous sommes nés libres et nous allons vivre libres» Les Egyptiens, musulmans et chrétiens, ont accompli ensemble la prière du vendredi avant de clamer : «le peuple veut la chute du régime». L'imam Khaled Al-Marakbi qui a officié la prière a donné le ton. «Nous sommes nés libres et allons vivre libres (...). Je vous demande de patienter jusqu'à la victoire ». Dès la fin de la prière, les fidèles ont commencé à scander «Dégage, dégage» à l'encontre du président, ou encore «Je suis Egyptien, je n'ai pas peur, je suis un lion sur la place». Manifestants et militaires ont collaboré pour organiser la sécurité de la place. C'est une Egypte joyeuse, digne et déterminée qui a signifié au régime qu'il est fini. Des manifestants déterminés à rester place Al-Tahrir. Des artistes, des intellectuels et même Amr Moussa - que d'aucuns pensent déjà en campagne pour la présidence - ont rejoint la place. La démonstration a été implacable. Les attaques de baltaguis ont renforcé le mouvement de contestation et provoqué des fissures au sein du régime. Plusieurs hommes d'affaires - dont Ahmed Ezz, un proche de Gamal Moubarak - et d'anciens ministres ont été interdits de sortie du pays et leurs avoirs gelés. Les attaques contre la place Al-Tahrir ont rendu les appels au dialogue du vice-président désigné, le général Omar Souleiman, inconsistants et peu sérieux. Pour l'ensemble de l'opposition, le départ de Hosni Moubarak est devenu un préalable à des discussions sur la transition. Le vice-président Omar Souleiman a affirmé dans une interview à la télévision égyptienne, jeudi, avoir engagé le dialogue avec certains mouvements d'opposition, précisant que cette ouverture s'adressait également aux Frères musulmans. Il a affirmé que les Frères musulmans «hésitaient» et ne l'ont «pas rejetés». La riposte a été immédiate. Elle est venue d'Essam Al-Aryane : le départ de Moubarak est un préalable. Toute l'opposition le réclame. M. Souleiman a répliqué que cette demande équivalait à un «appel au chaos». Le président égyptien est de plus en plus isolé. Washington qui l'a soutenu jusqu'au bout afin d'éviter un changement brusque a été contraint, après les violences contre la place Al-Tahrir, de passer à des scénarios sans Moubarak. Moubarak : moi ou le chaos ! Celui-ci n'a plus que l'argument du «risque de chaos». Jeudi, il a déclaré à la chaîne ABC qu'il était «fatigué d'être président et qu'il aimerait quitter ses fonctions maintenant », mais qu'il ne le peut pas «par peur du chaos qui s'emparerait du pays». «Peu m'importe ce que les gens disent sur moi. Ce qui m'importe maintenant, c'est mon pays, c'est l'Egypte», a-t-il déclaré en affirmant que son gouvernement n'était pas responsable des violences sur la place Al-Tahrir. Des propos tenus jeudi. L'éclatante manifestation du «vendredi du départ» montrait clairement qu'il était désormais un facteur de chaos. Mohamed ElBaradei rétorque au «moi ou le chaos» de Moubarak : «C'est une phrase de dictateur. Il doit partir dans six mois, et nous devrons passer par le même processus : une transition. S'il y a du chaos aujourd'hui, il y en aura dans six mois quand il devra quitter le pouvoir. Ce n'est pas un argument valable. Voici quelqu'un qui tente de prolonger artificiellement l'existence d'un régime toxique». Le peuple contre les voyous L'administration Obama tente de hâter son départ afin de préserver ses propres intérêts et de permettre au régime d'engager une démarche de stabilisation. Elle était, hier, en discussion avec des responsables égyptiens sur le scénario d'une «démission immédiate» de Moubarak accompagné de la mise en place d'un «gouvernement de transition emmené par le vice-président Souleiman avec le soutien de l'armée ». Outre Omar Souleiman, le général Sami Enan, chef des forces armées, et le ministre de la Défense, Mohamed Tantaoui, devraient jouer des rôles importants dans ce gouvernement. Celui-ci serait également ouvert aux forces de l'opposition, y compris les Frères musulmans. Mais il ne s'agit que d'une option. A la fin de la journée, les Egyptiens attendaient un signal. L'armée ne s'est pas encore décidée à peser sur les événements. Le bras de fer entre la nation égyptienne et un régime cliniquement mort mais encore capable de beaucoup de nuisance se poursuivait. Moubarak après trente ans de pouvoir ne sait pas comment sortir alors que la nation égyptienne en révolte a déjà réduit son régime à une bande de baltaguis. Le peuple contre les voyous.