Voilà déjà près de deux années que l'une des plus importantes communes du pays est sans maire ni élus locaux, avec toutes les retombées que l'on peut aisément imaginer sur le quotidien d'une population qui ne perd pas pour autant espoir de voir le vent tourner dans la bonne direction. En effet, conséquence d'un long et tortueux feuilleton judiciaire, la première capitale de l'Emir Abdelkader a «perdu» son maire et ses élus (actuellement emprisonnés) pour voir la gestion de cette giga cité (qui grossit démesurément), confiée provisoirement au chef de daïra, assisté, dans sa lourde tâche, par des attachés au cabinet du wali auxquels des missions ponctuelles ont été confiées. Erigées au rang de wilaya dès l'aube de l'indépendance, il est vrai que Tiaret traîne depuis longtemps la réputation peu enviable d'être une «portion du pays», parmi les plus «voraces» en terme de consommation des commis de l'Etat, au point que, depuis l'indépendance du pays, vingt-huit walis et des pelotons entiers de cadres supérieurs de l'Etat sont passés par là, sans vraiment réussir à influer sur le destin d'une ville injustement présentée comme le «cimetière des espérances». Sans pilote dans l'avion depuis plus de deux années, la commune de Tiaret est aujourd'hui littéralement «décapitée» puisque sans maire ni élus locaux après que ces derniers, censés présider à son destin, ont été confondus pour des fautes de gestion graves et jetés en prison. Depuis, le wali de la wilaya, M.Bousmaha Med, dans un «effort herculéen», tente de parer au plus urgent en déléguant une partie de ses pouvoirs à ceux qui lui paraissent les plus à même de gérer une ville devenue presque ingérable aux yeux même de ses propres «enfants». Pour deux Tiarétiens sur trois, la quintessence du problème réside non pas dans le travail connu et reconnu par tous, battu par le représentant local du gouvernement, mais dans la difficulté à trouver des élus locaux capables de gérer «correctement» une ville de la matrice de laquelle sont nés de prestigieux enfants, à l'image de Ali Mâachi, Kaïd Ahmed, Djelloul Ould Hamou ou encore, pathétique signe du destin, Belarbi Abdellah, assassiné à l'intérieur même de son bureau à l'hôtel de ville parce qu'il avait commis, selon ses proches, la «faute mortelle» de penser qu'il était «lâche» d'abandonner une ville comme l'antique Tihert livrée aux affres du terrorisme dans les années rouges sang. «Aujourd'hui, l'équation s'est comme inversée: si l'argent existe à gogo pour développer l'une des plus anciennes communes du pays, les hommes pour mener cette mission à bon port sont quasi introuvables», commente, blasé, un retraité du secteur de l'éducation qui se remémore, avec une pointe de fierté, avoir «alphabétisé», au sortir de la longue nuit coloniale, des élèves aujourd'hui devenus des cadres supérieurs de l'Etat. La situation est devenue telle que, pour un «trivial problème de branchement aux réseaux divers, de réparation d'une chaussée défoncée, ou même pour retirer un quelque document de n'importe quelle administration, l'on se retrouve contraints d'en référer au chef de daïra, soit au premier responsable de la wilaya alors que là n'est pas sa mission mais bien celle des élus qui n'existent plus aujourd'hui, fulmine, presque désespéré, un jeune universitaire au chômage depuis six ans. Un militant associatif, connu pour ses nombreuses actions positives au service de l'intérêt public local, s'interroge, quant à lui, sur les «raisons réelles» d'une vacance qui perdure à l'APC alors que «la justice, positive s'entend, voudrait que ce n'est pas parce que des élus ont fauté que toute la population doit en payer le lourd tribut». De nombreux citoyens, cadres locaux, militants associatifs et simples citoyens soucieux du sort de leur ville, cogitent «sans bruit» sur l'idée de créer un comité de sauvegarde de la ville de Tiaret qu'ils veulent positionner comme «une interface crédible et efficace entre le citoyen et les gestionnaires de la chose publique locale». L'intention, selon les animateurs de ce comité, est de «ramer dans la même direction que le représentant local de l'Etat et arriver à terme à redonner à la capitale des Hauts Plateaux de l'Ouest le rang qu'elle mérite au vu de son potentiel formidable de développement», selon les propres termes de l'un des animateurs du mouvement. Quand on sait que la somme colossale de 286 milliards de dinars a été allouée à la wilaya pour les cinq prochaines années», «l'on ne peut qu'être optimiste pour l'avenir d'une région où le chômage des jeunes est une plaie ouverte», commente Kaddour, un ancien chômeur converti avec succès au métier de l'artisanat traditionnel. Mais pour un «assisté de la main généreuse de l'Etat», comme il se présente lui-même, rencontré lundi au siège de la commune «décapitée», les «nombreux problèmes rencontrés par le simple citoyen dans sa vie de tous les jours ne viennent pas d'en haut, c'est-à-dire des responsables haut placés, mais bien de ceux qui occupent les bas étages de l'appareil étatique, qui s'échinent à nous rendre la vie impossible», soutient-il, une pile de journaux dans la main. Un autre citoyen, au sortir d'une audience que lui a consacrée mardi le wali de la wilaya, ne cache pas son espoir de sentir que «quelque chose est en train de changer dans le pays, à condition qu'on cesse d'être une sommation d'individus obnubilés chacun par son propre intérêt mais bien une société digne de ce nom, à la communauté de destin et de rêves». Tout un programme!