Kadhafi a parlé avec un message confus : il n'a pas le pouvoir mais il ne lâchera pas un pouce de pouvoir. Celui qui ne reconnaît aucune loi a fait une lecture ennuyeuse et sinistre du code pénal. Cet homme délire. Il a affirmé qu'il n'a pas encore fait usage de la violence. Après des centaines de morts, ce propos est sinistre. Le mot tyran est insuffisant. Le régime libyen met en œuvre une politique de la terre brûlée face au soulèvement de la population qui ne supporte plus les absurdités coûteuses d'un clan qui a transformé le pays en une khaïma démentielle. On l'a déjà dit et on ne le redira jamais assez : cette révolte n'est pas motivée par la misère, même si la répartition des richesses en Libye est très inégale, même si Kadhafi et son clan considèrent les ressources du pays comme une propriété privée. Mais même cette appropriation n'est qu'un élément de plus dans un rejet plus radical et plus profond. Kadhafi a cru avoir malaxé les Libyens à son image tortueuse et délirante. Or, cette société a conservé le souvenir d'une période où elle était une société, traditionnelle sans doute, mais une société normale. Le fait que les contestataires aient ressorti les drapeaux de la Libye de l'indépendance est significatif de l'ampleur du rejet de l'infâme sauce verte dans laquelle Kadhafi n'a cessé de les enfoncer. Les Libyens ont bien entendu vécu, comme beaucoup d'autres peuples, avec passion les mouvements pour la dignité qui ont emporté les dirigeants des deux pays voisins. Ils l'ont ressenti avec d'autant plus de force que de nombreux Libyens, qu'ils soient des «anciens» ou des jeunes qui ont acquis une instruction moderne, ne supportaient plus d'être la risée du monde en raison d'un raïs erratique qui a abandonné toute idée de gouvernance et qui aime à se donner en spectacle. Tout en refusant que son pays soit doté d'institutions rationnelles et d'infrastructures fonctionnelles. Conspirateur permanent, cet homme pense que son peuple est continuellement en train de comploter, d'où cette prolifération de milices qui surveillent et se surveillent. Pour les Libyens, cet homme et son régime sont une plaie permanente. Il était grotesque, le voilà qui montre le visage atroce d'un bourreau de son propre peuple. Le recours à des mercenaires qui sèment la mort de manière indiscriminée en dit long sur les mœurs du clan au pouvoir. La folie criminelle de ce régime est sans limites, comme le démontre l'utilisation de l'aviation militaire pour réprimer des manifestants. Le discours à la fois incohérent et pervers prononcé par le «guide» dans son camp retranché de Bab Azizia confirme la détermination du clan à ne rien lâcher. En annonçant qu'il se préparait à recourir à la force pour écraser les «rats» qui protestent dans les rues du pays, Kadhafi indique clairement que le déchaînement de violence de ces derniers jours n'est rien comparé à ce qui risque d'arriver. En lisant ostensiblement des passages du code pénal, le «grand leader» justifie la mort qu'il s'apprête à infliger à tous ceux qui osent le contester. La péroraison de Bab Azizia, derrière une rhétorique antiaméricaine usée jusqu'à la corde, a constitué un appel direct à la grande peur des Occidentaux, celle de l'établissement d'un régime islamiste inspiré par Ben Laden. La performance de Kadhafi est l'illustration implacable de l'adage qui veut qu'un pouvoir absolu rende absolument fou. Il faut espérer que le crépuscule sanglant de ce dictateur ubuesque soit bref et que l'opinion mondiale réagisse enfin avec fermeté contre la spirale d'horreur dans laquelle ce tyran et son clan veulent précipiter le peuple de Libye.