L'assaut des Cairotes contre l'ambassade israélienne en Egypte est l'expression claire que, contrairement à des désirs qui ne prennent pas la peine de se masquer, les peuples arabes ne tournent pas le dos à la Palestine. Qu'ils le veuillent ou non, la Palestine fait partie, avec l'injustice et l'écrasement des libertés, des fondamentaux de la contestation généralisée des régimes. Ceux qui espéraient que le printemps arabe signifiait un abandon de la Palestine peuvent faire le deuil de leurs illusions. Les peuples arabes ne sont pas composés de terroristes. Ils n'ont jamais souscrit aux stratégies sanglantes et imbéciles de Ben Laden et de ses sinistres épigones. Mais ces peuples, cette «rue arabe», selon la formule méprisante de nombre de médias, n'oublient pas que le terrorisme permanent depuis 1948, le terrorisme adoubé par l'Occident et qui nie un peuple tout entier, c'est bien celui d'Israël. L'Union européenne se trompe radicalement de diagnostic en livrant une analyse plus que douteuse présentant le «printemps arabe» comme une réponse au 11 Septembre. Trop simple, même si l'opinion est réputée aimer les schémas et les clichés. Le printemps arabe n'a rien à voir avec le 11 Septembre. Ni de près, ni de loin. Mais l'analyse de l'Union européenne participe de cette tendance (ah, suffisance quand tu nous tiens !) des Occidentaux à chercher à s'approprier une contestation contre les dictatures et autocraties arabes auxquelles ils ont été durablement associés. Et ils le demeurent. Le printemps arabe n'est pas celui de Ben Laden, il n'est pas non plus celui des bellicistes néoconservateurs. Il n'est pas l'enfant naturel de la supercherie du GMO. Il est dans une longue histoire de combats multiformes où la Palestine a été constamment présente de manière directe ou indirecte. Les Egyptiens risquent de ne plus être présentés comme de braves révolutionnaires «printaniers». Ils ont la tendance «déplaisante» à montrer que la Palestine et le refus de l'injustice faite aux Palestiniens sont également parmi des combustibles de la révolte contre le régime. La vassalité absolue du régime de Moubarak aux Etats-Unis et sa contribution à l'étranglement des Palestiniens ont été une source constante d'indignation des Egyptiens. Et quand ce gigantesque mouvement des indignés d'Egypte s'est exprimé sur la place Al-Tahrir, avec pour objectif prioritaire de faire tomber Moubarak et son régime, ceux qui ne regardent qu'avec le prisme d'Israël se sont bruyamment réjouis. Les Egyptiens ne s'intéressent plus à la Palestine. Comme si dégommer Moubarak n'était pas lever un des principaux leviers de l'oppression des Palestiniens et des Egyptiens ! Ceux qui se sont réjouis trop vite découvrent ce que tous les Egyptiens savaient, même les gens du régime : la Palestine est bien le premier bourgeon de ce printemps. Et ils finiront par le découvrir dans les autres contrées en révolte contre les régimes vassaux. Les «experts» occidentaux, qui ne sont en définitive que des propagandistes plutôt que des analystes, vont sans doute présenter les manifestations d'Egyptiens comme la preuve d'un retour du «radicalisme»; certains mettront en avant les islamistes, qui n'étaient pas hier à la place Al-Tahrir. Il faudra bien que ces experts (dont les trois quarts ne parlent pas un traitre mot d'arabe) prennent acte que les insurrections populaires arabes se situent bien au-delà de phénomènes subversifs, dont la matrice idéologique est assurée par des régimes médiévaux alliés des Occidentaux. La marche des Arabes vers la modernité politique est un mouvement naturel de l'histoire d'une portée qui reste encore à évaluer. Emancipation, Etat de droit et libertés, pour essentiels qu'ils soient, ne constituent pas le seul agenda des peuples qui se dressent contre la tyrannie. Ce que nul ne conteste dans le continuum arabe est que ce mouvement est également porté par une revendication puissante de justice pour un peuple spolié par le dernier Etat colonial de la planète. Le printemps arabe n'a de sens que parce qu'il intègre le grand hiver palestinien. Le reste n'est que (mauvaise) littérature.