«Vous avez la base, Thierry, le sens de l'évocation. C'est très important pour un écrivain. Pour un premier livre, vous faites largement mieux que moi à mes débuts. Il m'a fallu huit romans pour atteindre votre maîtrise. Vous êtes discipliné dans le texte, cohérent». Ce paragraphe est une partie du message envoyé par Yasmina Khadra à Thierry Galdéano, qui est une merveilleuse reconnaissance du talent remarquable de cet écrivain exceptionnel, qui a dans son placard trois autres romans complet en attente de publication. Dans cette interview, nous avons essayé de discuter d'un certain nombre de questions historiques et culturelles, et le romancier a gracieusement répondu à nos questions avec beaucoup de courage et de clarté. Le roman «Le Sable Le Répit», considéré comme faisant partie de votre vie où vous parlez de votre enfance dans la ville de Béchar en Algérie, nous constatons à travers notre lecture du titre du roman ce grand amour du désert et l'odeur des épices qui sont réparties dans cet espace magique. Avez-vous encore la nostalgie de votre ville, Béchar ? Thierry Galdéano : Oui, j'ai une sorte de nostalgie qui relève bien plus du souvenir romantique de mes escapades dans la ville, à une époque où nous vivions en bonne harmonie avec la population, malgré que la guerre fût passée par là. Comme je l'explique dans mon roman, mes parents sont restés après l'indépendance et jusqu'en 1967 environ. Tout se passait bien. Je suis rentré en France fin 1969. Ma nostalgie est empreinte des parfums d'épices sur les marchés, des sourires des villageois et de la bonne humeur ambiante. Je rêve de retourner à Béchar mais j'ai peur d'être déçu, car tout a dû beaucoup changer. Vous êtes «pied-noir». Pensez-vous que cette description ne contient pas une connotation satirique ? Etes-vous avec l'écriture de l'histoire, avec la mention de tous les avantages et les inconvénients, les joies et les tragédies ? T.G.: Je parle de l'Algérie avec toute mon objectivité, en ayant toute la conscience de ce qu'a apporté de bien et de mal la colonisation. Je le dis très clairement : «La révolte des Algériens a poussé sur le terreau de la frustration». Dans mon roman, j'explique clairement que si la France avait dès le début de la colonisation respecté le peuple algérien et lui avait octroyé les mêmes droits qu'aux Français, nous en serions arrivés à une décolonisation pacifique et nous aurions pu rêver d'une complicité productive et privilégiée entre nos peuples. Je sais que la France a gâché l'occasion de devenir l'alliée de l'Algérie et que l'intérêt commun n'a pas primé. Bref, la France a raté sa colonisation et elle a raté sa décolonisation, qui ne fut qu'une grande mascarade. Bien que je ne sois pas historien, je sais que les pieds-noirs, ainsi nommés par les «indigènes» à cause de leurs chaussures au 19e siècle, ont été beaucoup moqués dès leur arrivée. Ce qui me gêne le plus, c'est qu'ils furent craints par les Algériens dès le début. C'est une idée abominable qui cache la vérité des expropriations et du mépris d'un peuple qui n'aspirait qu'au développement et au progrès qu'on lui laissait entrevoir. Après le passage des Turcs et des Espagnols, les Algériens méritaient qu'on les respecte. Que pensez-vous de la position du grand écrivain Albert Camus qui a choisi sa mère au lieu de la justice ? T. G.: Comme beaucoup, je me suis intéressé à l'œuvre incontournable de Camus et j'ai une pensée métaphorique de cette citation. Je crois sincèrement que Camus faisait référence à la mère patrie et que cette patrie est l'Algérie qu'il aimait avant la colonisation. A l'époque, la justice française avait vite fait de condamner les indépendantistes et se gardait bien de les traiter sur un plan d'égalité avec les «Français de souche». A la place de Camus, ayant aimé l'Algérie comme lui, j'aurais également préféré ma mère et détesté qu'on la traite sans égards. Encore une fois, la différence de traitement entre les peuples a précipité la rébellion. Le célèbre écrivain Yasmina Khadra dit de vous que vous êtes un romancier de talent, et que vous avez explicitement dit qu'il avait écrit huit romans avant qu'il ne réussisse à écrire un roman dans le niveau de votre premier roman, n'est-ce pas ? T.G.: Yasmina Khadra m'a fait ce cadeau, un commentaire sur mon premier roman. Je le soupçonne d'avoir avant tout voulu être courtois avec ma sensibilité. Si vous prenez le temps de lire son compliment, vous constaterez qu'il est très critique, à juste titre. Je ne suis qu'un apprenti écrivain et loin est le moment où j'effleurerais la compétence de Monsieur Khadra, dont je vénère chaque ligne. Je le remercie encore pour son talent. Je le considère comme une référence ultime de la littérature contemporaine. Et je m'enivre de ses textes sans être rassasié. Lire cet homme est un délice et un supplice. Lorsqu'on rêve d'écrire et que l'on découvre son œuvre, il y a de quoi jeter sa plume et renoncer. J'essaie malgré tout de faire mon chemin, mais lui est ailleurs, sur les sommets. Sa critique est ce qui m'est arrivé de mieux depuis que j'écris : elle me sert à chaque mot que je couche sur le papier. Parlez-nous d'autres livres que vous n'avez pas encore publiés ! T.G.: Je prépare la suite de mon premier roman, à sortir en fin d'année. Ce récit est une «conséquence» de mon premier roman. Il aura pour titre «Nos cœurs orphelins». J'y aborde le déracinement, la condition des harkis, entre autres, mais aussi les manquements des parents vis-à-vis de leurs enfants. J'ai achevé un roman dont l'action se déroule dans les métiers de l'immobilier en France. Un domaine très décrié chez nous et qui fait fantasmer beaucoup de monde. Je connais parfaitement ce domaine et j'ai pris le parti de faire entrer le lecteur dans une agence immobilière et même dans la tête d'un agent immobilier. L'immobilier touche à l'affect de bien des gens : c'est le plus gros achat dans une vie de Français. Il y a beaucoup à dire. À l'exception de Yasmina Khadra, est-il un autre écrivain algérien que vous préférez ? T. G.: Non, sincèrement, je reste ignorant, mais avide de littérature algérienne, grâce à Yasmina Khadra qui m'a rendu curieux de découvrir d'autres auteurs algériens. J'aime lire Pierre Rabhi, grand philosophe, magnifique penseur qui transmet son optimisme et son enthousiasme avec beaucoup d'humour. J'aime également Fellag, que je considère comme un humoriste philosophe. Un génie en quelque sorte, très incisif et très lucide sur la société algérienne. Pourquoi écrivez-vous ? Pensez-vous écrire pour la défense d'une idée particulière? En d'autres termes, vous écrivez pour le plaisir ou pour défendre une position intellectuelle? T.G.: J'écris pour toutes ces raisons, mais je crains de me positionner sur le terrain des intellectuels. J'ai toujours pour objectifs principaux de ne jamais ennuyer le lecteur, de soigner le style et effectivement de prendre des risques en défendant mes positions. Le plus difficile est toujours d'accepter de ne pas être à tout prix objectif. Il faut savoir «mouiller la chemise». Quoi qu'il en soit, le plaisir est la motivation principale : celui du lecteur et le mien. Pouvez-vous en écrivant réaliser la paix et l'amour entre les nations et les peuples ? T.G.: J'aimerais tant ! J'ose croire que mon message est passé dans mes deux premiers romans. Je suis tranché sur la question, il n'y a pas d'avenir pour l'humanité sans tolérance, démocratie et amour. Est-il vrai que le livre traditionnel a terminé son temps et qu'il sera remplacé par des publications électroniques ? T.G.: Sincèrement, je n'en sais rien, mais ça me fait peur. J'aime le papier, comme j'aimais le vinyle avant le laser. J'espère que le confort de lire sur papier l'emportera sur la technologie. Etes-vous optimiste sur l'avenir de l'humanité ? T.G.: Etre négatif, c'est ne pas vouloir contribuer à sauver l'avenir de l'humanité. Etre optimiste est un devoir ! * Ecrivain et journaliste