C'est Farouk Mohamed Brahim, un des proches du défunt, qui s'est chargé de l'oraison funèbre du professeur Boudraa Belabbès, hier en début d'après-midi, au carré des martyrs du cimetière de Aïn El-Beida. Selon un professeur de médecine, le défunt a refusé tout récemment de recevoir une délégation dépêchée des hautes sphères de l'Etat venue s'enquérir sur l'état de son habitation. Il aurait signifié aux membres de cette délégation d'aller s'occuper plutôt des mal-logés. «Je suis bien et je ne manque de rien», avait-il dit. Fidèle à la conduite qu'il s'est toujours imposée depuis l'accession de l'Algérie à l'indépendance, voilà probablement le dernier testament que le professeur Boudraa Belabbès a voulu laisser à ses pairs et aux notables de sa ville et de son pays. Connu pour son sens aigu de la dignité, il a quitté les siens et ceux qui lont connu ou profité de son savoir dans la dignité. Il a rendu l'âme vendredi en milieu d'après-midi. Auparavant, il avait séjourné durant deux mois dans une clinique, propriété d'un de ses anciens étudiants. Il pouvait bouger le petit doigt pour accéder à une hospitalisation dans une clinique à l'étranger. Ce qui aurait pu être son droit le plus élémentaire, lui qui a tant donné à son pays. Mais l'homme, jusqu'à son dernier souffle, ne s'est jamais intéressé aux privilèges que lui conférait son statut d'ancien moudjahid, d'ancien responsable politique, d'ancien formateur des premières générations de médecins chirurgiens, d'ancien maire de la ville d'Oran. Ceux habitués de son salon sont impressionnés par les photos du professeur en compagnie de tous ceux qui sont intervenus d'une manière directe dans le sort de l'Algérie actuelle. Mais le professeur n'était pas du genre à passer un coup de fil pour obtenir tel ou tel privilège. Il s'est inscrit, dès le lendemain de l'indépendance, sur une autre dimension. Là où il est en ce moment, il doit être fier d'avoir participé, le plus souvent au détriment de sa famille, à sauver des vies humaines et ensuite à former des générations et des générations de médecins. Selon plusieurs témoignages recueillis, le professeur Boudraa Belabbès a consacré entièrement sa vie à la médecine. Une médecine au service de son pays, au service de ses concitoyens et non source d'enrichissement et d'ascension sociale. Pourtant, il a renoncé à terminer sa spécialité en France pour répondre à l'appel du FLN en 1956. Il a rejoint les rangs très tôt et a mis son savoir au service de la cause nationale. Le professeur Farouk Mohamed Brahim, un de ses étudiants, raconte que le défunt détient toujours une lettre que lui a envoyée Krim Belkacem, suite aux soins qu'il lui avait prodigués. A la veille de l'indépendance, en pleine période de terrorisme de l'OAS, il avait mis sa vie en danger en se déplaçant chez les gens pour les prendre en charge. Mais ce que regrettent ceux qui l'ont connu et approché, c'est qu'il ne s'est jamais donné le temps de coucher sur papier ses mémoires. On nous assure qu'il détient une archive importante. Sur ce plan, il ressemble à d'autres géants de sa trempe qui nous ont quittés sans nous laisser d'éclairages sur une période charnière de notre histoire, tel Mohamed Seghir Nekkache et maître Bel-Abbès, un ami du défunt. Parmi la foule qui a accompagné le défunt à sa dernière demeure, on a relevé un nombre important de médecins et de professeurs. Rien que ce détail indique la place de ce Monsieur dans sa ville et dans son pays. Lui qui aurait sûrement préféré se retirer dans la discrétion totale. Lui qui avait choisi de s'éloigner des cacophonies des célébrations et des cérémonies protocolaires. D'ores et déjà, certains parmi ceux se sont promis de perpétuer sa trajectoire.