P our des raisons qui sont apparues mystérieuses, les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) avaient proposé, il y a quelques mois, à la Jordanie et au Maroc de devenir membres de leur organisation. Pour des raisons encore plus mystérieuses, cette adhésion n'est plus souhaitée aujourd'hui. Beaucoup se perdent en conjectures pour essayer d'expliquer ce renversement rapide des positions. Le ministre saoudien des Affaires étrangères, l'émir Fayçal, s'est essayé à une comparaison peu convaincante avec le «complexe grec» que traînerait aujourd'hui l'Europe comme un fardeau qui divise. Même si le CCG a fait des progrès en termes d'union, la comparaison avec l'Union européenne manque totalement de pertinence. Le seul enseignement de ce propos est de découvrir que l'Arabie Saoudite, qui a initié cet appel à adhésion, n'en veut plus. Elle serait prête à apporter plus d'aide économique aux deux pays mais ne veut plus entendre parler d'adhésion. Le journaliste palestinien et patron du journal Al Qods, Abdelbari Atwan, après avoir évoqué plusieurs hypothèses, est arrivé à la conclusion que ce n'est pas la présence du Maroc qui pose problème aux monarchies du Golfe, mais celle de la Jordanie. Pour les rois et les émirs, la présence de la Jordanie dans le Conseil de coopération du Golfe les mettrait, pour la première fois dans l'histoire, dans une proximité géographique et politique directe avec la Palestine et donc avec Israël. Ils préfèrent, en retoquant la Jordanie, rester commodément loin d'un conflit qui suscite les passions populaires contre leur parrain impérial américain. Il y a sans doute une part de vérité dans cette explication. Mais elle est insuffisante à expliquer pourquoi il y a eu une proposition il y a quelques mois. Les dirigeants du Golfe n'ignoraient rien à cette époque de la géographie politique sensible de la Jordanie, ni de sa composition humaine à majorité palestinienne. Il faut peut-être prendre en compte le fait qu'entre-temps, les contestations politiques se sont exprimées avec beaucoup plus d'insistance en Arabie Saoudite après le cas de Bahreïn. Le changement d'attitude sur l'adhésion de la Jordanie et du Maroc pourrait être une crainte de contamination ! Ce sont deux pays à très fort potentiel de contestation sociale, où des contestations politiques, contenues, s'expriment ouvertement depuis des mois. Cela n'agrée pas l'Arabie Saoudite, dont la vision sécuritaire hypertrophiée a tendance à voir dans toute expression de contestation chez elle un complot ourdi par l'Iran. Sur ce registre, le patron du renseignement saoudien vient d'apporter son obole à la campagne contre l'Iran en exprimant des «doutes» sur le caractère pacifique de son programme nucléaire. Le Maroc et la Jordanie étant, par nécessité, des systèmes un peu plus ouverts que ceux du Golfe, le CCG et l'Arabie Saoudite semblent avoir estimé qu'il n'est pas utile d'introduire des «problèmes». L'idée initiale de faire du CCG une alliance des monarchies «stables», par opposition à des «républiques» héréditaires instables, a donc perdu de sa pertinence pour l'Arabie Saoudite. Cela englobe également le souci de ne pas se retrouver dans la proximité géopolitique d'Israël. Du point de vue du Maghreb, en hibernation et toujours virtuel, cette rétractation saoudienne et des pays du Golfe n'est pas une mauvaise nouvelle. Surtout que des signes, ténus mais encourageants, laissent penser que les gouvernements marocain et algérien ne veulent plus jouer à la politique du blocage de l'UMA. La place du Maroc est au Maghreb, c'est une évidence. Même si les plantureuses monarchies du Golfe ont pu introduire le doute pendant quelques mois.