Le secrétaire général du Front de libération natio-nale (FLN) débattra avec le secrétaire général du Parti socialiste français (PS) sur la «Méditerranée, une histoire commune ?», au cours d'un séminaire organisé à Marseille du 30 mars au 1er avril prochain. Le thème est en lui-même «tout un programme» que les deux responsables, Abdelaziz Belkhadem et François Hollande, se doivent d'en tracer en principe les contours pour tenter de rapprocher deux pays, l'Algérie et la France, et d'en atténuer les rancœurs historiques. Il est évident que la présence du secrétaire général du FLN dans un séminaire organisé à l'occasion du 50e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie répond à des considérations historiques évidentes - le FLN étant le sigle de l'Histoire de l'indépendance nationale -, mais aussi à des exigences politiques du moment. L'histoire est ainsi convoquée sous les auspices d'une France des temps modernes qui n'éprouve aucune gêne à étaler ses haines colonialistes lorsqu'elle en estime la nécessité. Le SG du FLN affirme avoir beaucoup de messages à transmettre à l'occasion de sa présence dans la cité phocéenne. «Je parlerai des flux migratoires, de la liberté de circulation des personnes, de l'islamophobie et autres questions liées à cet espace Méditerranée», nous a déclaré Belkhadem à ce propos. Il tient alors à parler des Croisades et, explique-t-il, «puisque nous appartenons à la Méditerranée et que nous ne sommes pas venus d'Amérique, il faut qu'on parle de la civilisation arabe que les Européens évoquent rarement». Fidèle à ses convictions, le SG du FLN précise aussi que «Je rappellerai, bien sûr, le devoir de mémoire, mais sans trop m'attarder». Il parlera, dit-il encore, de «cette inégalité dans les rapports économiques ou autres, de cette phobie qu'ils entretiennent à l'égard de la rive Sud de la Méditerranée en matière d'émigration et de terrorisme». BELKHADEM-HOLLANDE FACE A L'HISTOIRE Le responsable du FLN estime ainsi que «pour construire l'avenir, on ne doit pas rester les yeux fixés sur le rétroviseur. Il faut réfléchir à ce qu'il faut faire en terme de circulation des personnes et des capitaux pour construire un partenariat respectueux des intérêts mutuels et oubliant la seule nécessité de conserver des parts de marché». Il pense que «la vision qu'il faut définir n'est pas seulement pour ce siècle, mais pour le siècle à venir». Pour lui, «la Méditerranée, une histoire commune ?» est un thème immense qui exige d'importantes haltes historiques, intellectuelles et politiques. Il en «jette» quelques jalons sur fond d'un optimisme confiant en soutenant que «l'avenir nous appartient parce que la force de la jeunesse est chez nous, l'énergie est chez nous, les capitaux et les marchés de consommateurs sont aussi chez nous. En même temps, nous avons en face une Europe qui se dépeuple mais qui détient la technologie». Alors, interroge-t-il, «qu'est-ce qui nous empêche de voir l'avenir avec beaucoup d'optimisme ?». Il faut reconnaître que la confrontation Belkhadem-Hollande n'en sera pas véritablement une, puisqu'elle permettra la rencontre de deux politiques qui se partagent de grands idéaux, les deux étant dirigeants de partis de gauche qui rêvent de social-démocratie dans un monde de libéralisme féroce. Lors de sa visite à Alger l'année dernière, Hollande a été pendant quelques heures l'hôte de Belkhadem, qui l'avait reçu au siège du FLN. En lice dans des joutes électorales cruciales, chacun pour sa part, les deux hommes doivent en principe garder en tête qu'il ne suffit pas de mettre en avant des idéaux pour gagner des batailles. Ces temps d'aujourd'hui qu'on qualifie de modernes sont aussi durs que les temps où les socialistes de la France coloniale avaient cruellement marqué les moudjahidine de l'Algérie combattante. FACE-À-FACE ZOHRA DRIF BITAT - BERNARD-HENRY LEVY Organisé par les soins du quotidien national arabophone El-Khabar et la revue française Marianne, le séminaire de Marseille abritera bien d'autres débats, qualifiés d'ores et déjà de «houleux», en tout cas loin d'être sereins. Pour en avoir choisi les thèmes, les organisateurs se sont certes fortement inspirés des événements qui marquent la conjoncture actuelle, mais aussi et surtout du passé glorieux de l'Algérie dans son entreprise d'indépendance d'un colonialisme des plus abjects et d'une France «républicaine» dont les relents colonialistes continuent d'alimenter les réactions de son personnel politique partisan, jusqu'aux campagnes électorales de ses dirigeants. C'est dire que la guerre d'Algérie continue de déchaîner les passions françaises de ceux-là mêmes qui œuvrent inlassablement pour dénoncer des génocides «d'ailleurs» en occultant ceux commis par leurs aînés. A l'instar d'autres villes françaises, Marseille, que les Algériens appellent avec le sourire «la 49e wilaya», au regard de sa «physionomie» qui ressemble grandement à Alger et du nombre important de nationaux qui y vivent sous l'étiquette d'émigrés, accueillera un certain nombre de personnes issues de divers horizons pour discuter de plus d'une trentaine de thèmes. Si les questions posées à débat n'ont ainsi rien de fortuit, certains des binômes constitués pour en discuter pourraient être la quintessence même de la polémique. C'est ce qu'inspire par exemple le face-à-face Zohra Drif Bitat et Bernard-Henry Lévy, la première pour la charge révolutionnaire qu'elle porte en tant que moudjahida, le second pour son affection pour le sionisme qu'il exhibe même quand les peuples pensent qu'ils luttent pour leur liberté. Ses déclarations à propos de son soutien pour les violents mouvements de contestation en Libye en attestent clairement. A binôme d'enfer, question d'enfer : les deux conférenciers parleront des «printemps arabes, demain la liberté ?». Le grand intellectuel Daho Djerbal, directeur de la revue Naqd, sera confronté à Raphaëlle Branche pour tenter de répondre à la question «A quoi sert de gagner une guerre et de perdre la paix ?». Djerbal présente Raphaëlle Branche comme étant «une historienne française de la nouvelle génération.» Elle a le mérite, selon lui, d'avoir écrit, entre autres ouvrages, un livre sur la torture en Algérie. Il est attendu que les deux historiens recentrent le débat autour des justes dimensions de la guerre et de la paix entre l'Algérie et la France. AIT AHMED ET L'ETAT LAIQUE Un historique de grande envergure est aussi convié au séminaire de Marseille. Il s'agit de Hocine Aït Ahmed, président du Font des forces socialistes (FFS). Il sera mis face à la socialiste Ségolène Royal pour trouver réponse à la question «Pour être moderne, un Etat doit-il être laïque ?». «Face au terrorisme, peut-il y avoir une réponse méditerranéenne ?» sera débattu par le journaliste Mounir Boudjema et Yves Bonnet (sous réserve) ou Alain Chouet. Boudjema n'est pas homme à renier ses convictions ou à se délier de ses attachements quand il s'agit de trouver réponse à ce genre de question. Ceci même au temps où l'Algérie vivait ses plus douloureux moments. Yves Bonnet est connu pour avoir dirigé les renseignements français pour résoudre des équations du même genre. Il sera donc très tentant de les écouter. Le débat sur «Quelle économie en partage ?» sera animé, par ailleurs, par Abderrahmane Hadj Nacer, l'ex-gouverneur de la Banque d'Algérie, et Jean-Pierre Raffarin. Il sera intéressant de savoir comment Hadj Nacer, qui a été comptable des finances algériennes lorsqu'il n'y avait plus rien à compter, et Raffarin, nommé pour le moment «Monsieur Algérie» par le président Sarkozy, traiteront d'une question aussi pertinente en ces temps de crise financière et économique mondiale. Frédéric Mitterrand et Boualem Sansal examineront ensemble la question «Peut-on sauver le français ?». Tout un programme pour la francophonie. Redha Malek et Jean la Couture devront répondre eux à «La guerre a-t-elle été gagnée à l'ONU ?». Redha Malek devra clarifier à lui seul une question chargée de nombreux sous-entendus. Le rire n'a pas été occulté par les organisateurs : ce seront Fellag et Guy Bedos qui se chargeront de répondre aux Algériens et aux Français à la question «Rit-on des mêmes choses ?».