Si François Hollande a réellement l'intention de jouer la carte de l'apaisement avec l'Algérie sur la question mémorielle, son premier geste officiel, le jour de son investiture en tant que Président de la République française, vu de l'Algérie, ne plaide pas en faveur de sa sincérité en la matière. Il a en effet pris ses fonctions en rendant un hommage à Jules Ferry, l'homme d'Etat français qui, au 19e siècle, a glorifié et approuvé l'aventure coloniale de son pays et la conquête de l'Algérie en particulier. Il est l'ancêtre et l'inspirateur des révisionnistes français qui, actuellement, soutiennent que cette colonisation a eu des « bienfaits» dont doivent lui être reconnaissants les peuples qui l'ont subie. Jules Ferry a prétendu que l'aventure coloniale était une « œuvre civilisatrice» car destinée à apporter à des peuples «arriérés» les lumières de la civilisation occidentale et les faire bénéficier du progrès. Il a été à juste titre dénoncé par des contemporains en tant que chef de file du courant ultracolonialiste français, aux positions racistes franchement assumées. Pourquoi donc le nouveau Président français, dont la vision concernant le fait colonial est apparemment aux antipodes de celle professée en son temps par Jules Ferry, a-t-il choisi d'honorer la mémoire de celui-ci ? Ce n'est certainement pas par méconnaissance de cet aspect de sa personnalité. On a expliqué que l'hommage rendu au fieffé colonialiste qu'a été Jules Ferry par le nouveau Président de la France ne s'est adressé qu'à l'homme d'Etat qui a été le «père de l'école laïque» et le promoteur de l'enseignement gratuit et obligatoire pour tous les fils et filles de la République française. Cette école et cet enseignement dont François Hollande a mis la problématique au cœur de son programme électoral, est qu'il ne faut y voir de sa part aucun clin d'œil ou un appel du pied à cette frange de la population française qui professe encore les points de vue colonialiste et raciste défendus en son temps par Jules Ferry. François Hollande ne pouvait tout de même ignorer que son geste n'allait pas être compris en Algérie et qu'en le faisant, il instaurait le doute sur sa véritable perception du fait colonial et des crimes et horreurs dont il s'est accompagné pour le peuple algérien. Ceux dans son entourage qui lui ont conseillé d'honorer la mémoire de Jules Ferry ont été pour le moins mal inspirés, car son geste va raviver la guerre mémorielle entre l'Algérie et la France et confortera de ce côté-ci de la Méditerranée la conviction que la famille politique dont est issu le nouveau Président français a sur la question mémorielle des positions ambiguës dont elle ne veut pas se départir pour ne pas se couper électoralement de cette forte fraction de la population française qui a fait sienne la théorie d'une colonisation ayant été bienfaitrice pour les peuples qu'elle a subjugués. Disons qu'au moins pire, le nouveau Président français a ouvert son quinquennat par un «impair» sur la question mémorielle. Saura-t-il le rattraper par un autre geste qui en effacerait l'impact négatif qu'il a produit en Algérie ? Qu'il fasse suite alors au conseil que lui a prodigué l'historien Benjamin Stora, lui conseillant de saisir la perche tendue par le Président Bouteflika, ayant consisté à l'invite à «dépassionner les relations entre les deux pays».