L'ancien ministre de la Poste et des Technologies de l'information et de la communication, Boudjemaa Haïchour, ne mâche pas ses mots. Chef des «frondeurs» qui ont affiché leur farouche opposition au secrétaire général du FLN, il revient dans cet entretien sur la crise qui secoue le parti et développe une vision qu'il qualifie de «moderniste» de la vie politique. Il est temps, estime-t-il, de passer de la légitimité historique à la légitimité citoyenne. Boudjemaa Haïchour est par ailleurs convaincu que la victoire du FLN aux dernières législatives n'aurait pas vu le jour sans le discours du président de la République du 8 mai dernier. Le Quotidien d'Oran : Le FLN vit une crise interne depuis quelque temps mais cela ne l'a pas empêché de sortir vainqueur des dernières élections législatives. Quelle est votre lecture ? Boudjemâa Haïchour : Comment pouvoir répondre à la complexité intérieure et extérieure du Parti FLN dans une conjoncture qui est infléchie par de nombreux éléments d'appréciation ? Mais à voir le mouvement même de notre temps et la géopolitique du moment, l'on ne saurait omettre que notre pays s'apprête à célébrer le cinquantenaire de notre indépendance qui sans nul doute va marquer une rupture systémique dans la façon de gouverner et de faire de la politique. En fait la crise que vit le Parti FLN ne peut être comprise que dans le cadre de l'évolution de la société dans son ensemble. Il est impératif d souligner que cette crise intervient au moment où le Président de la République entame la série des réformes annoncées le 15 Avril 2011 appelées à configurer le mode de gouvernance dans une Algérie où les générations de l'indépendance doivent prendre les reines du Pays. Nous passons de la légitimité historique à celle de la légitimité citoyenne. Dans cet ordre d'idées, les élections législatives du 10 Mai ont créé une situation de préparation aux Présidentielles de 2014. Au FLN comme dans les autres partis. Chacun voudrait mettre l'assise qui le propulse à cette échéance. Bien que le FLN n'est pas à sa dernière crise, il en a vécu plusieurs, mais celle-ci semble être porteuse de mutations organiques mettant la ligne doctrinale du Parti à contre courant des valeurs novembristes. Oui le FLN est sorti victorieux non pas par la démarche et le choix de ses listes, mais par le discours historique du Président prononcé le 8 Mai à Sétif, discours qui marque la fin d'une époque où le relais devrait être remis à la génération de l'indépendance quelque soit la composante de celles-ci. La symbolique du FLN et le «vote refuge» ont été les raisons de cette victoire. Q. O. : Les «frondeurs» au sein du FLN, dont vous faites partie, présentent le Secrétaire général du parti Abdellaziz Belkhadem comme étant un «despote» qui ne respecte pas les règles démocratiques en particulier, disent-ils encore, après avoir élaboré presque en catimini les listes des candidats des législatives du 10 mai. Que pouvez-vous dire à ce sujet ? B. H. : Il est évident que ceux qui suivent la vie organique et politique du Parti savent que Abdellaziz Belkhadem n'a pas respecté les résolutions du Comité central dans la préparation des listes aux législatives du 10 Mai. Faudrait-il dire qu'il y a eu cooptation qui s'est faite sur la base de relations d'intérêt, loin de toute considération militante et dans la pleine et entière transgression des statuts et du règlement intérieur du Parti. Alors qu'il aurait été judicieux de procéder dans l'esprit démocratique qui sous tend la vie interne du Parti. Bien entendu ces listes ont été confectionnées dans une sorte d'anti chambre au niveau du Ministère de l'enseignement supérieur en catimini. C'est ce que reprochent bon nombre de militants et de membres du CC. Rappelez-vous ces listes ont été décriées par la base, et ont suscité aussi la prise de position de ce que vous appelez «frondeurs», qui ne sont en fait que les «Centralistes contestataires» qui ont décelé la déviance et dans plusieurs réunions énoncé la trahison et appelé au retrait de confiance. Q. O. : Vous évoquez souvent un nouveau FLN qui serait basé sur des cadres compétents et une nouvelle vision à même de s'adapter au contexte régional et international. Comment pourrait s'opérer cette adaptation sachant que le fondement même du parti est basé sur la légitimité historique ? B. H. : Comment faire émerger des idées simples sur des liens complexes dans un Parti légitimé par son sigle qui continue dans l'imaginaire des algériens à être celui qui a libéré le pays de la colonisation ? On est dans une approche à laquelle beaucoup confondent FLN et Parti FLN. On est même dans une vision qui continue à marquer les esprits où le FLN se confond avec le Système qui dirige notre pays depuis l'avènement de notre indépendance. Depuis Octobre 1988 et à la faveur de la constitution de 1989, le FLN/Etat a laissé place au Parti FLN tout court. Le Multipartisme s'installant, le Parti FLN en principe devait entreprendre sa mue. Mais les ruptures systémiques n'ont pas suivi. Le Parti FLN est resté à l'ombre du système lui donnant un certain habillage de légitimité. Il faut rappeler le discours du Président lorsqu'il a appelé il y a de cela quatre ans à «la fin de la légitimité historique ou révolutionnaire». Nous vivons les cinquantenaires des partis indépendantistes au Maghreb. Quels enseignements peut-on tirer de ce qu'on appelle «le Printemps arabe». Notre pays est-il à l'abri de ces mouvements citoyens pour avoir vécu son printemps meurtrier dans les années 90 ? La question reste posée dans la géo politique régionale et internationale au vu des crises économiques, financières et monétaires qui secouent les pays occidentaux. Les dangers qu'elles font peser depuis les «subprimes» et les menaces sur l'euro en Europe menacent les économies des pays du sud de la méditerranée. La question de la dette publique est au cœur même de leurs préoccupations et à tout moment peut déboucher sur des situations dont nous ne seront pas épargnés. Sommes-nous entrain de vivre ce nouvel ordre planétaire de ce XXI è siècle où les approvisionnements énergétiques de l'économie mondiale reconfigurent le nouveau découpage et zones d'influence dans le monde et seront au centre des nouvelles donnes loin des idéologies et des blocs où se construit un monde unipolaire qui régente les relations internationales, même si le multipolarisme se fraye timidement un chemin ? Aurions nous l'audace de comprendre au moins ce qui se trame pour éviter le pire d'une crise majeure ? Q. O. : On a l'impression que le FLN est une sorte de machine à voter que tout le monde veut contrôler pour accéder au pouvoir. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette impression largement répandue ? B. H. : Tout Parti qui se lance dans la compétition électorale cherche à gagner et de ce fait devient naturellement une machine à voter. Mais aux 45 Partis en lice pour les législatives du 10 Mai, le plus qui est enraciné et occupe organiquement le terrain, c'est le FLN. Il est présent par ses Kasma dans toutes les communes du pays. Il a une proximité citoyenne en plus de la charge symbolique historique de son sigle. Donc tout parti qui se lance en politique cherche le pouvoir. La réalité est celle-là. Mais les batailles politiques ne se gagnent que si on est capable de discerner les nuances du système. Pour revenir au discours du Président Bouteflika du 8 Mai à Sétif, ses propos ont drapé de son burnous les listes du FLN par le fait que le peuple continue de donner confiance à son Président. C'est sans nul doute une des raisons majeures qui ont donné ce raz de marée avec cette majorité et dans aucun cas ; Abdelaziz Belkhadem ne doit engranger ces dividendes à son compte. Q. O. : Le nouveau parlement a été installé hier samedi et aura selon toute vraisemblance comme mission de conduire à terme les réformes du Président de la République. Est-ce que vous pensez que la nouvelle APN reflète les aspirations du peuple sachant que plus de la moitié des électeurs n'a pas voté ? B. H. : Nous devons prendre la mesure des effets qu'elle induit. Car toute stratégie implique une refonte profonde à dimensions multiples et aux exigences nouvelles. L'avenir nous le dira. Il faut savoir décoder et décrypter les résultats d'un vote au regard des taux de participation et d'abstention. Il faut avoir les repères nécessaires pour ne pas boucher les horizons. L'enjeu est de taille. Il ne faut pas revenir au système du parti unique. Une assemblée où se façonnent les lois doit permettre dans l'hémicycle à l'opposition de s'exprimer. On n'est plus au temps de l'unicité de pensée. Même à cette époque le FLN fonctionnait en termes de sensibilités. Les réformes du Président doivent avoir l'assentiment du peuple, même si le parlement réuni donne son appréciation. Nous sommes dans la continuité d'une APN et non d'une Constituante. Toutes les inquiétudes sont légitimes lorsqu'il s'agit de faire participer l'ensemble des enfants de ce peuple. Contre la marginalisation et la hogra, il faut accepter l'autre. Oui il est vrai qu'il y a eu marginalisation des compétences, ceux là mêmes qui peuvent apporter la confrontation dynamique dans la perspective du changement. Le paysage politique doit augurer à de meilleurs lendemains pour les nouvelles générations. L'histoire retiendra des hommes politiques, des gouvernants et des leaders de partis et le sens des responsabilités qui pèse sur les épaules de chacun d'eux. Même si les inquiétudes sont légitimes quant à l'issue de ce scrutin contesté par l'opposition, il faut gouverner avec les autres tant que la Constitution n'est pas encore révisée où la majorité doit être seule comptable devant le peuple. La démocratie ne se décrète pas, elle est l'émanation de la volonté du peuple seul détenteur de la légitimité. Il faut donner l'espoir et l'audace d'espérer dans ce monde en mouvement. Renouveler notre résolution à servir le pays au-delà des clivages partisans pour mettre notre belle Algérie dans le concert des Nations émergentes. Ce sont les enjeux du futur auxquels il n'est pas permis l'erreur. Les générations nous le reprocheront et l'histoire l'inscrira dans les annales de notre mémoire collective.