«Ha houa tla' el mou'addane ! Ha houa tla' el mou'addane !», criait-on à l'unisson jadis devant Djamaâ Sidi El-Yeddoun, dans le quartier d'El Medress, dès que le muezzin, Si Bendi Allel, apparaissait en haut du minaret pour annoncer la rupture du jeûne. Assis sur une «a'tata» (margelle) en face de la mosquée, une nuée d'enfants, filles et garçons, en petits «observateurs» guettaient ainsi durant le mois de Ramadhan l'«adhan el iftar» qui était annoncé concomitamment par le marguillier, la sirène juchée sur le toit de l'hôtel de ville d'El Blass et un coup de canon tiré à partir du plateau de Lalla Setti. Des systèmes d' «alerte» traditionnels auxquels se sont substitués aujourd'hui des médias modernes, à savoir le haut-parleur, la radio et la télévision. Boudant le minaret qui a perdu sa fonction acoustique naturelle, le muezzin lance maintenant son appel au moyen d'un microphone (amplificateur) installé dans la maqsoura (antichambre) après avoir regardé l'horloge qui a remplacé l'observation du ciel (étoiles), un savoir-faire que maîtrisaient les muezzins d'antan. Quant à l'appel au «shour», soit le sobh qui était illustré par le tahlil, c'est toujours le mou'addane qui se chargeait de cette tâche parallèlement au crieur public ou «berrah» (appelé «boutbila» à Constantine, «neffar» au Maroc et «saharati» en Egypte) qui réveillait les gens pour se sustenter avant le début du jeûne. Au quartier Beau-Séjour à Tlemcen, c'était Si Dali Youcef qui faisait cette tournée rituelle. Ainsi, une heure avant l' «imsek» (soit l'adhan du sobh), Si Bendi Allel de Djamaâ El-Yeddoun ou Si Chaïbdraâ de Djamaâ El-Kebir «psalmodiaient» les appels répétés à la prière : «Quoumou quoumou ! Hada oua'at el-kheir dja'quoum, li sala, sala rassoul , ouana l'a dellal el-kheir, oula djenna ma'ha ya djri, ya djri, oua Allah lima sala el-fedjr ma ya chroub mine maha ». Par ailleurs, à l'occasion de la prière du vendredi, un bénévole de la mosquée communiquait depuis le sahn (patio aux ablutions) avec le muezzin en se servant d'un fanion blanc pour lui signaler que l'imam est monté sur le minbar. Un autre assistant, en l'occurrence Si Benosman de Djamaâ El Kebir, se tenait sur une «sedda» (plate-forme) au milieu de la mosquée pour répercuter l'adhan. Rendons au passage hommage aux anciens muezzins comme les Trari, Bouanani, Dali Youcef, Benosman, Maâtallah, Chaïbdraâ, Tchiali qui «officiaient» à la grande mosquée, Bendi Allel à Sidi Yeddoun, Smahi à Sidi Boumediene, Tabet Aouel à Djamaâ Chorfa, Benkort à Dar El Hadith, Boukhebzi à Sidi El Wazzane Ces muezzins bénévoles feront des émules parmi la «génération» d'après indépendance. Citons entre autres les Messali (neveu Messali Hadj), Azzaoui, Djeddour, Sayeh, Karaouzène, Fellah, Houari, Hadj Slimane, Ghomari, Mellouk, Bekhti, Hamri (outre la mosquée Imam Ali de Chetouane, la voix de ce dernier est adoptée comme adhan radiophonique par Tlemcen FM) Ces muezzins comptent parmi eux des musiciens et des chanteurs. A propos de musique, le nom d'Alicante viendrait de l'interprétation allusive espagnole «Ali chante» par rapport au chant du muezzin andalou. On raconte que Ishaq El Mawcili, l'illustre musicien particulier de Haroun Er-Rachid et non moins maître de Zyryab s'inspirait des modulations du muezzin de Baghdad, selon l'historien Cheïkh Abderrahmane Djilali. Le hidjaz, est le mode oriental spécifique de l'adhan (mélodie de l'appel à la prière) correspondant au zidane maghrébin (ré). Dans ce contexte, ne serait-il pas intéressant sur le plan pédagogique et technique de demander, en guise d' «extra», aux «Forsane el qor'an» d'exécuter un adhan, en complément à la psalmodie du Saint Coran ? Si, en Turquie où le azen est considéré comme partie intégrante de l'identité nationale, il existe des écoles spécialisées dans ce domaine. Chez nous le adhan à l'instar du tadjwid demeure le parent pauvre des «Beaux-arts». La manifestation de 2011 «Tlemcen, capitale de la Culture islamique» aurait dû constituer une belle opportunité dans ce sens, à travers la formation sur place de muezzins professionnels ou la réalisation d'instituts spécialisés dans ce genre «musical». Un véritable ratage partagé entre le ministère de la Culture ( par rapport à cet art) que par le ministère des Affaires religieuses ( au titre du culte). Au fait, le nouvel institut de formation des imams, qui ouvrira ses portes à Imama, la prochaine rentrée prendra-t-il en charge ce volet ? Indiquons au passage que Abdelhafid Acimi (un ancien de radio Coran, ex-directeur de la radio locale) prêta sa voix à «Bilal» dans le film «Le messager» de Mustapha El Aqqad. Il faut savoir que le premier adhan à Tlemcen eut lieu en 675 de l'Hégire au village Attar (Lalla Setti) sous l'égide du sahabi Abou Mouhadjir Dinar, selon M. Mohammed Baghli.