51,3 millions d'électeurs égyptiens inscrits, sur une population de 83 millions d'habitants, commencent à voter ce samedi pour ou contre le projet de Constitution après d'ultimes manifestations organisées hier par les opposants au président Mohamed Morsi et ses partisans islamistes. Le début d'un « ça passe ou ça casse » qui va s'étaler en deux temps. Le long bras de fer émaillé de violences qui dure depuis trois semaines et qui a fait une vingtaine de morts va être tranché dans les urnes. La décision, brusque, de l'opposition de ne pas boycotter le scrutin mais d'appeler à voter non a quelque peu changé la donne sans la bouleverser totalement. Le scrutin se déroulera en deux samedis consécutifs en raison du refus d'une grande partie des juges de superviser le scrutin. Il se tient ce samedi dans dix gouvernorats, dont Le Caire et Alexandrie (nord), deuxième ville du pays. Dix-sept autres gouvernorats voteront une semaine plus tard. Ce déroulement en deux temps rappelle l'ampleur des controverses et des divisions provoquées par la série de décisions prises par le président Mohamed Morsi de s'octroyer des pouvoirs exorbitants et de faire un passage en force sur la Constitution en imposant le référendum. Le choix, plutôt sage, de l'opposition de participer au référendum attenue les risques de violences qui auraient été inévitables en cas d'appel au boycott. Le résultat du scrutin - il faudra attendre la « seconde partie » du vote samedi prochain - sera étudié à la loupe mais il risque de ne pas mettre fin aux grandes divisions qui se sont exprimées ces dernières semaines. Les opposants - libéraux, gauche, les coptes - ont non seulement des objections de fond sur la rédaction léonine de certaines dispositions de la Constitution, mais ils se sont vivement insurgés contre les procédés « pharaoniques » du président Morsi qui s'est octroyé des pouvoirs extraordinaires. DU MOUBARAK AVEC BARBE C'est du Moubarak avec la barbe en plus, ont estimé les opposants qui ont dénoncé les penchants dictatoriaux du président Morsi. Mohamed ElBaradei, du Front du salut national (FSN), a déclaré que si le projet de Constitution était adopté, ses adversaires «feraient tout pour le faire tomber avec les moyens démocratiques et pacifiques». Il a d'ailleurs prôné, un peu tardivement, un retour temporaire à la Constitution de 1971 - suspendue après la chute de Hosni Moubarak -, le temps de rédiger un texte consensuel. Pour les islamistes, et c'est un thème porteur chez une partie de la population, il faut en terminer avec la transition et aller vers une vie institutionnelle que seule une Constitution permet. Les islamistes, outre l'instrumentalisation de la religion, jouent clairement sur cette demande d'ordre qui existe au sein d'une partie de la société. Si l'on prend pour référence l'arithmétique électorale du précédent scrutin, avec l'addition de voix des Frères musulmans et des salafistes, « oui » devrait l'emporter, mais les choses ont suffisamment évolué pour que cette victoire islamiste cesse d'être certaine. Le président Morsi qui joue sa crédibilité politique sur ce scrutin a déjà perdu la stature de président de tous les Egyptiens pour n'être que celui des Frères musulmans. Ses décisions ont créé une polarisation tendue du champ politique entre islamistes d'un côté et non islamistes de l'autre. La minorité copte qui craint qu'on ne lui applique des règles rigoristes devrait se mobiliser pour le « non ». Le patriarche copte a appelé à voter sans donner de consigne mais l'Eglise copte s'étant déjà retirée de la commission chargée de rédiger la Constitution pour protester contre certaines dispositions du projet relatives à la charia (loi islamique), la cause est entendue. INCERTITUDES Les deux parties ont continué de mobiliser jusqu'à hier, les islamistes jouant ouvertement sur la fibre religieuse en qualifiant le vote «non» de mécréant, leurs opposants mettant en garde contre le «Constitution du Mourchid», en référence au chef de la confrère des Frères musulmans. Les Frères musulmans devaient se rassembler dans une mosquée, non loin du Palais présidentielle, situé dans le quartier d'Héliopolis, au Caire. Les opposants, eux, se rassemblant dans l'emblématique place Tahrir. L'incertitude est de mise. Une victoire étriquée du « oui » serait très largement insuffisante pour calmer des esprits très remontés et des militants très mobilisés de part et d'autre et parfois décidés à en découdre. Pour l'organisation du scrutin, l'armée qui n'a pas réussi à organiser une rencontre de médiation entre les parties, a mis le paquet en mobilisant quelque 120.000 soldats et 6.000 chars pour protéger les bureaux de vote et les bâtiments gouvernementaux. Manifestement, en se passant d'une recherche de consensus, le président Morsi a décidé de jouer son va-tout. Un « ça passe ou ça casse » en deux samedis.