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Donald Kaberuka, président de la Banque Africaine de Développement «L'Algérie a besoin d'un autre Business Model»
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 10 - 12 - 2013

Donald Kaberuka, Président de la Banque Africainede développement (BAD) était à Paris pour le Forum Economique et au sommet France-Afrique. Il en parle dans cet entretien exclusif dans lequel il évoque aussi les rapports de la BAD avec le Maghreb et l'Algérie «où c'est quand même compliqué !»
Quel bilan dressez-vous de ce Sommet, notamment de son volet économique ?
Je pourrais le résumer en 3 approches : investissements. On n'a pas parlé d'aide au développementmais d'investissements. Même si on a parlé aide, c'est plutôt dans le cadre d'un effet de levier pour l'investissement. 2ème approche : la France, et l'Europe, ont besoin aujourd'hui de l'Afrique. Et vice versa. Il y a encore quelques années, un homme politique français a dit «la France n'a pas besoin de l'Afrique». Il se trompait. 3ème élément qui me parait capital, c'est ce changement de vision pour l'Afrique qui était assimilée à un continent condamné dans un raisonnement passéiste et misérabiliste. Aujourd'hui c'est le continent des opportunités.
Mais l'Europe est-elle prête à entendre l'Afrique autrement ?
Il n'y a pas d'autre alternative. La jeune génération des africains nés après les indépendances, est ce que l'on appelle en Afrique la «free génération», née dans les années 70 et 80. Ils ont une autre vision du monde. Ils sont connectés. Ils ont étudié en France, au Royaume Unis, au Canada, aux Etats Unis. Même ceux qui sont dans les villages ont des téléphones mobiles, ils s'envoient des sms et téléchargent des vidéos ou des applications. Si vous estimez que depuis 30 ans, le monde a changé alors l'Europe a changé et l'Afrique aussi. Chacun à sa façon. L'Europe a changé de deux façons : la chute du mur de Berlin a mis fin à une idéologie et une économie communisante qui était souvent exportée vers l'Afrique aussi par le biais de la guerre froide. L'Europe a changé aussi grâce à la chute de «Lehman Brothers» qui a mis fin à ces donneurs de leçon «voilà ce qu'il faut faire pour réussir !». Donc je pense que ces deux événements sont très importants. Pour l'Afrique, le changement est différent. Ce n'est plus l'axe nord-sud qui prime mais il y a aujourd'hui les axes sud-nord, sud-ouest mais également sud-sud et je dirais même Afrique-Afrique.
Mais n'y a-t-il pas le risque de voir l'Occident avoir un intérêt purement conjoncturel à l'Afrique ?
Il y a un Chef d'Etat qui a dit lors de ce Sommet «vous savez, dans une économie il y a deux rois : l'entrepreneur et le consommateur. Vous produisez parce qu'il y a un consommateur quelque part. Et le consommateur sur le plan mondiale il est où dans 10, 20, 30 ans ? Il sera essentiellement africain !» Il n'a pas tort. Le pouvoir d'achat de l'africain augmente de façon exponentielle. On se rue aujourd'hui sur l'Afrique pour être aux premières loges demain. Les Africains seront 1,5 milliards en 2030, dont la moitié urbanisée et dont plus de 65% auront moins de 25 ans, donc nés depuis peu ou pas encore…
En espérant des échanges Win-Win…
Ils n'ont pas le choix et ils le savent. En 1979, quand la Chine a commencé sa marche économique, j'étais étudiant à Londres, et on parlait d'elle avec mépris. On disait d'elle : «c'est la Haute-Volta avec des missiles nucléaires !». Vous connaissez la suite. En 30 ans le pays s'est industrialisé. Au début des années 90, l'Inde était assimilée à la Belgique, et le Brésil inconnu. Aujourd'hui l'Inde est une puissance nucléaire et économique et le Brésil construit des avions et des sous-marins. Regardez les changements économiques qui se passent dans les pays du Golfe malgré tous les problèmes géopolitiques de la région. Le Vietnam qui a connu des décennies de guerres discontinues est aujourd'hui une puissance économique émergente. Aujourd'hui, tout entreprise qui se respecte doit se dire : je dois regarder loin, je dois regarder partout, surtout là où il y a la démographie. C'est ça l'avenir.
La BAD semble avoir réévalué à la baisse ses interventions en Afrique du Nord. Est-ce que c'est une réalité ?
La lecture n'est pas la bonne. L'Afrique du Nord reste le partenaire le plus important de la Banque avec plus de 51% du portefeuille. Au Maroc, nous sommes le premier bailleur. En Egypte et en Tunisie nous sommes parmi les plus importants. Nous avons été les premiers à mettre de l'argent en Tunisie après la révolution. Enparallèle, nous sommes une Banque. Nous ne sommes pas la Croix Rouge.Nous avons des normes prudentielles à respecter et à chaque fois que la Tunisie ou l'Egypte sont rétrogradés dans les agences de notations -ce qui s'est passé successivement et très rapidement- cela réduit les marges d'opération de la Banque. Nous sommes gênés par le fait que nous voulons aider ces pays mais le manque de visibilité politique des gouvernements de transition et le fait que les agences de notations les punissent quasiment tous les jours sur les marchés cela réduit considérablement notre marge de manœuvre. Je me réjouis que l'agence Moody's vient de relever la note l'Egypte mais pour la Tunisie c'est l'inverse.
Nous sommes en train de chercher des solutions de transit en attendant que la situation politique se stabilise. Une des options possibles - on en a discuté à Washington avec les ministres du G8 - est de mutualiser les risques de taux. C'est ce qu'on appelle les «Exposures Swaps», entre les différentes institutions multilatérales de financement tel que la Banque mondiale, la Banque européenne, la Banque islamique etc…D'autres part, nous sommes actuellement en train de discuter avec les Saoudiens, les Emiratis et les Koweïtiens pour voir comment mettre en place des instruments de garantie de nos financements en Afrique du nord. Eux ne sortent pas un dollar, ils garantissent et nous, nous finançons car nous connaissons mieux qu'eux l'Egypte ou la Tunisie par exemple où les risques de défauts de paiement sont quasi nuls. Tout le monde y gagne !
Nous essayons donc de délier la situation en Afrique du Nord où nous avons une forte concentration d'engagements tout en respectant, encore une fois, nos règles prudentielles.
Il y a aussi les cas particuliers de l'Algérie et de la Libye…
Nous avons en Afrique uniquement deux pays qui n'ont pas besoin de capitaux et c'est bien l'Algérie et la Libye. L'Algérie a même réglé toutes ces dettes en 2004. A tout le monde, y compris l'ex-Union Soviétique. La Libye, elle, a tellement de moyens que ce n'est pas ça leur problème. La Libye, c'est un Etat qu'il faut construire. Nous avions dit aux occidentaux «attention, ici c'est des tribus, ce n'est pas un pays». On est en train de le voir aujourd'hui. L'Algérie, elle, a besoin d'un autre modèle de développement, d'un autre Business Model. Ce n'est pas l'argent qui lui manque. Il faut qu'elle sorte de son économie d'hydrocarbures, il faut qu'elle cherche à créer une classe moyenne d'entrepreneurs algériens même s'il faut aller chercher des instruments techniques ailleurs pour cela. Il faut sortir de la rente pétrolière.
La BAD peut-elle aider techniquement l'Algérie à basculer vers ce nouveau Business Model ?
C'est pour cette raison que nous avons ouvert un bureau à Alger. Nous voulons aider l'Algérie avec notre expertise et notre expérience des autres pays africains à développer un nouveau modèle économique basé sur des appareils productifs très larges et sortir de la rente des hydrocarbures.
Vous avez des interlocuteurs en Algérie?
L'Algérie à un excellent ministre des finances et ce n'est pas parce que KarimDjoudi est un ami que je dis cela. Maintenant, il évolue bien entendu dans tout un environnement et des paramètres qu'il ne maîtrise pas. On en débat souvent, y compris avec MM. Laamamra et Sellal ainsi que de nombreux chefs d'entreprises algériens. Mais en Algérie, c'est quand même compliqué !


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