«Personne dans ce pays, je parle de décideurs, ne veut dessiner l'Algérie de 2030», a déclaré Réda Hamiani qui était, hier, l'invité de «Radio M» de Maghreb Emergent. Le président du Forum des chefs d'entreprises (FCE) a déploré l'absence de projection «pour le modèle économique à venir», tout en affirmant l'impossibilité, selon lui, «d'aller vers une économie libérale avec un secteur public dominant». «Nous croyons au libéralisme, mais pas le libéralisme sauvage», a affirmé Réda Hamiani, qui a exposé les grandes lignes de la vision économique du FCE. «Il n'existe pas», selon lui, en Algérie de «tenants d'un libéralisme sans bornes». De la doctrine économique de l'Association patronale (qui compte quelque 300 adhérents) qu'il préside, il affirme qu'elle est basée sur une «notion d'économie sociale». «Nous sommes pour une sorte de cohésion sociale», dit-il à ce propos. Sur les projections de l'avenir de l'économie algérienne faites par «Nabni», Hamiani affirme que le FCE est «un peu moins alarmiste» que ne l'est ce think-tank. Il précise néanmoins que le «modèle de croissance actuel nous déplaît, parce qu'il repose trop sur la dépense publique et sur les hydrocarbures». «Il est plus qu'urgent de réintroduire une croissance interne portée par les entreprises, et notamment le secteur privé. Les seules entités capables de créer des richesses, ce sont les entreprises de production. Même le commerce n'est pas d'une importante contribution dans cette croissance», ajoute Réda Hamiani. A titre d'exemple, il estime qu'il «n'est pas possible de relancer un secteur textile public». Dans la politique économique des pouvoirs publics, il trouve qu'il y a «des incongruités» et regrette que «personne ne s'émeut» de cette «absence totale de réflexion sur le modèle de développement qui devrait nous concerner». «Il y a un flou qui est maintenu, que certaines expressions trahissent. Qu'est-ce qu'on entend dans le discours officiel ? Que le secteur public est la colonne vertébrale du développement et le moteur de la croissance. Cette analyse nous hérisse parce qu'on estime que le secteur privé a aussi les potentialités et a vocation à conduire la croissance et le développement dans le pays. Nous aussi on veut des champions. On estime qu'il n'y en a pas suffisamment. Il faudrait que l'on ait 100 Cevital pour que l'économie algérienne se porte mieux. Et le problème de la régulation économique, c'est que les instruments qui existent ne poussent pas à ce que les PME se développent. On a l'impression que politiquement, ou de façon dogmatique, on a tendance à couper tout ce qui dépasse et à garder une taille de PME-PMI asservie», affirme encore le président du FCE. LES THEORIES «RONFLANTES» DE TEMMAR De la période du ministre Abdelhamid Temmar, à la tête du département de l'Industrie, Réda Hamiani retient les «théories ronflantes qui mettent en avant des stratégies et des visions d'avenir, et qu'en réalité on était incapable de suivre». Qu'est-ce qui a changé depuis le départ de Temmar ? Selon lui, les «équipes actuelles, qui lui ont succédé, se veulent plus pragmatiques, plus orientées sur l'action». Et dans ce genre de démarche «Sellal est l'exemple parfait». «Il est très pragmatique. Quand on a des réunions avec lui, à chaque fois il nous rappelle à l'ordre. Il veut des mesures concrètes et précises qui seraient de nature à débloquer. Il n'est pas un théoricien de l'économie quelle qu'elle soit. Il ne demande qu'à voir que les solutions qu'on lui propose vont dans la bonne direction», dira encore M. Hamiani. Seulement toute démarche a ses limites, et celle de Sellal ne déroge pas à la règle. Car, comme l'explique aussi Réda Hamiani, «il y a un carré qu'on n'ose pas franchir». «C'est la règle 49/51% (pour les investissements étrangers, ndlr), ça relève du dogme et presque du droit divin. Le crédit documentaire, qu'ils ne veulent pas toucher pour des raisons qu'on ignore. C'est un instrument de paiement qui a été déifié pour être la panacée en terme de solution à l'économie de notre pays, alors que ça s'est démenti très largement», ajoute le président du FCE. Sur le même registre, Réda Hamiani affirme vouloir rencontrer «les experts qui ont inspiré cette politique». «Nous serons ravis qu'ils puissent nous convaincre du bien-fondé de leurs arguments, et, dans ce cas, nous leur accorderons notre soutien total». REVOIR CERTAINES SUBVENTIONS Sur le dossier des subventions des prix, le président du FCE estime que c'est «le prix à payer pour la paix sociale». Mais, dit-il, «quand on fait l'addition entre les chiffres des subventions et des transferts, c'est énorme». «On est le peuple le plus soutenu de la planète, mais ce n'est pas pour autant qu'il est heureux. Quand on prend les statistiques de la DGSN, il y a environ 10.000 manifestations chaque année, pour l'eau, les routes, ou le logement», précise-t-il. Selon lui, la différence du prix des carburants avec nos voisins maghrébins «est d'un rapport de 1 à 7». «Comment voulez-vous éviter le trafic aux frontières avec une telle différence de prix ?», s'interroge-t-il. Néanmoins, Hamiani affirme qu'il ne faut pas couper tout de suite les subventions. «Mais commençons à réduire progressivement les aides qu'on accorde», dit-il. Il faut, selon lui, «amener le citoyen à être bien conscient» des conséquences et des coûts de cette politique. Sur le registre du foncier industriel, et concernant les projets des «49 zones industrielles totalisant 10.000 hectares» lancées par l'ANIREF, dont il salue «le dynamise exceptionnel de son équipe dirigeante», le président du FCE considère que «c'est minime, et ça ne correspond à l'ambition industrielle que nous avons, aussi bien pour développer l'industrie locale que pour les IDE». Il explique que dans beaucoup de pays, «une seule zone industrielle fait 10.000 hectares». Au rythme instauré, «dans le meilleur des cas, les premières zones seront réceptionnées vers 2016». Pour Hamiani, la politique publique dans ce domaine devrait dépasser la méthode des appels d'offres. Il propose d'aider le privé à «obtenir les autorisations légales» pour aménager les zones industrielles. Il cite, à ce propos, l'exemple de la wilaya de Blida «qui a donné, ça fait 15 ans, au SEIMI, une entreprise industrielle sérieuse, une superficie de 50 hectares pour être lotis en locaux et transformés en terrains». Interrogé sur la position du FCE sur les prochaines élections présidentielles, Hamiani affirme que son organisation n'appellera pas à un 4e mandat, en tout cas pas avant que le «principal intéressé lève l'hypothèque sur son choix». «A ce moment-là, nous reviendrons à nos organes et nous consulterons nos membres. Si certains considèrent que le FCE doit se positionner, moi je continuerais de plaider que cette question reste personnelle».