Un curieux hasard a mis Rafik Khalifa et Brahim Hadjas, premiers et derniers banquiers privés algériens, le même jour sous les feux de l'actualité. Le premier rejoint une cellule qui l'attendait depuis une dizaine d'années à Blida, le second a été sorti de la sienne pour comparaître devant le tribunal de Bir Mourad Raïs. Sans préjuger des décisions de la justice - la présomption d'innocence reste de mise -, on peut constater que ces deux affaires ont été, à des degrés différents, les symboles sulfureux d'un capitalisme privé algérien qui a démarré en trombe pour sombrer vite et dans le scandale. Union Bank et Khalifa Bank, sans oublier la BCIA, en resteront pour longtemps les emblèmes d'un élan sans lendemain. Khalifa Bank sans doute plus que les autres. Le procès de Blida qui a laissé beaucoup de monde sur sa faim a déjà révélé la vertigineuse défaillance de la gouvernance économique du pays et de la régulation. Alors qu'on parlait de «blanchiment», le procès a révélé une réalité plus prosaïque d'une grande opération des transferts de fonds publics vers une banque privée et de là vers l'étranger. Les épargnants laissés sur le carreau n'étaient pas les plus importants déposants, ce sont des institutions publiques. Les autorités politiques, administratives et financières ne pouvaient pas ignorer ce qui faisait la «fortune» de Khalifa. La bizarrerie du taux d'intérêt «offert» par Khalifa Bank, son extension rapide à des domaines divers, sa gouvernance aléatoire suscitaient un scepticisme qui n'a trouvé d'écho ni chez les autorités ni dans la presse. C'est cette combinaison de l'affairisme, de la complaisance politico-médiatique et de la neutralisation des mécanismes de régulation qui rendait - et rend toujours - cette affaire sulfureuse. Malgré la règlementation, les fonds des organismes publics ont quitté le Trésor et les banques publiques pour aller vers une banque privée. La presse, elle aussi, n'a rien vu. Khalifa est l'emblème de son échec, Internet et les réseaux sociaux n'étaient pas encore là pour la contraindre au minimum professionnel de pudeur. Car en avril 2002 au moins, l'insolvabilité de Khalifa Bank était déjà une «information» mais elle a été mise sous embargo. Entre-temps, de nouveaux déposants, qui ne possédaient pas l'information, ont continué à être attirés par l'aimant des taux d'intérêt de Khalifa Bank et de sa réputation de société «bénie» par les pouvoirs. Ils auraient pu sauver leur fonds si le «job» de l'information a été fait. Khalifa c'est un miroir grimaçant pour la presse aussi. L'affaire Khalifa démontrait aussi que la remise en cause de l'indépendance de la Banque d'Algérie est une régression absolue dans la gouvernance économique du pays. Cela a conduit à redonner à la Banque centrale un rôle plus sérieux de supervision du système bancaire en lui restituant une capacité de sanction sans attendre l'aval du gouvernement. Mais dans le sillage de la Khalifa Bank, toutes les autres banques privées algériennes ont disparu entre 2003-2004. L'intermédiation bancaire privée en Algérie est exclusivement étrangère aujourd'hui. Khalifa est un symbole très polysémique !