Conférence de presse d'avant-hier ? Hamrouche a raison. Hamrouche a tort. Il a raison quand il s'adresse à l'armée pas au peuple. Un peuple c'est la part sublimée de la foule. Cela se mérite, se construit, se défend. On peut être nombreux sans être un peuple. Et lorsqu'on ne l'est pas, on ne pèse pas et on ne décide pas. Cela blesse l'image qu'on a de soi et heurte la dignité, mais c'est ainsi. Mouloud Hamrouche le dit crûment. Parce que c'est un militaire et garde à l'esprit ce dont il est convaincu : l'Armée populaire nationale est l'armée nationale de Libération et c'est elle qui vote. Cela la mène à la position de l'unique décideur mais aussi de l'unique responsable de ce pays et de son drame. Hamrouche en appelle donc à ceux qui décident, les autres ne le sont pas encore, il le sait et il en a fait les frais. Il sait que le pays est divisé entre tuteurs et un produit dérivé de l'indépendance (le peuple ou, plutôt le nom du peuple). Il sait que les militaires considèrent le pays comme un butin mais dans le sens mystique du terme : on a libéré ce pays, il est à nous et nous en sommes les gardiens et les défenseurs. Contre les étrangers virtuels et contre les siens, surtout. Donc, pour le théoricien du « changement par l'intérieur », il faut parler à l'armée et c'est elle qui doit bouger. Mais l'homme a aussi tort. Du point de vue de l'éthique. De la morale. De l'obligation d'engagement. Un homme de son statut et de son expérience n'a pas le droit de nous enfermer dans cette équation fataliste. Moralement, il doit briser la règle ou se taire. Son hyperréalisme est presque insupportable. On est une génération apte au rêve et pas seulement des poids mort-nés. On lui demande peut-être trop, mais on espérait l'homme apte au sacrifice et à la douleur. On espérait qu'il soit meilleur que nous. A tort donc. Il devait enfreindre cette vieille loi de la primauté du militaire sur le pays, ou garder le silence. Il avait la faveur de ce moment-là. L'histoire avance par ceux qui ne respectent pas son immobilité et le sort qu'elle jette sur les statuts de sel. Ceux qui font rêver sont ceux qui analysent le moins, souvent. Hamrouche on l'a presque espéré, même par ceux qui ne le connaissent pas / plus. Parce qu'il offrait une alternative à la momification et à la bande des quatre. Parce qu'il pouvait bénéficier de notre colère et de notre indignation et de notre humiliation mondiale. Parce qu'il apportait du neuf même avec sa vieille image. Parce qu'il parlait bien et avait une vision du pays qui n'était une biographie dorée et un rapt. Et il nous a déçus. Cruellement. On se retrouve encore seul devant l'Autre. Bouteflika a, suprême amusement, réuni la dream-team de notre malheur. Tous les hommes de ses mandats dans une sorte de curieuse armée de féodaux qui a pour but de le réélire et de nous écraser. Les Sellal, les Ouyahia, les Belkhadem, les Bensalah, les Saadani mettent de côté leurs différends pour le but suprême de nous asservir et de gagner. Une équipe qui, par son unanimité, offre un tableau de solidarité monstrueuse sur notre dos et a les apparences d'un bras d'honneur adressé par une pieuvre. Tous les hommes de notre malheur, du bouffon au danseur au Goebbels, sont là, contre nous et nous, on est seul, démuni, isolé, moqué et sans moyens. Hamrouche a donc tort avec sa théorie de «changement par l'armée et de l'intérieur». Elle est sa plus tragique illusion et sa plus lucide analyse. Elle vient surtout trop tard. Elle est vraie mais inutile à ce moment même de notre histoire. L'armée ne bougera pas pour que ce pays soit libre, démocratique et puissant et heureux et il ne devrait pas attendre la solution de ce côté. L'armée le fera pour elle, pas pour nous. Hamrouche a tort de placer sa théorie avant l'éthique de l'homme politique et sa responsabilité devant l'histoire. Sa candidature, même vouée à l'échec face à l'armée des douze singes, aurait pu cristalliser notre élan, faire la pédagogie de l'alternative et nous aider à construire autre chose, pour plus tard. Rien cependant. C'est un homme qui démissionne avant d'être engagé. C'est un homme qui trahit. C'est violent et cru de dire ainsi, mais en ce moment même de notre histoire, les politesses et le respect cèdent devant l'urgence. On avait besoin d'un homme, nous n'avons encore que ses théories. Il est lucide, mais l'histoire de notre pays est faite des rêves des meilleurs, pas de leur lucidité. Il aurait pu dire oui. Pour donner son nom à un élan, pas seulement à une théorie.