L'Afrique du Sud a célébré, hier, le 20ème anniversaire de sa première élection multiraciale, celle où s'est traduit, pour la première fois, le principe du «one man one vote». Personne ne doute que l'Afrique du Sud est une démocratie, les élections qui s'y déroulent ne sont pas contestées. Le vote a un sens. Cette démocratie de vingt ans, inaugurée par Nelson Mandela, a été marquée du souci, légitime, de réussir la transition, de pacifier les esprits, d'éviter la guerre civile. Cela s'est traduit par la fin du système politique de l'apartheid, l'affirmation du principe du «one man one vote», mais également par la persistance criante des discriminations économiques et sociales. L'ANC, parti de la libération, a raté le tournant social. Et cela se manifeste au fil des ans par des ruptures qui peuvent, à terme, remettre en cause l'hégémonie de l'ANC. La démocratie sud-africaine permet au moins de le mesurer réellement. Des élections législatives auront lieu le 7 mai prochain et le taux d'abstention, qui pourrait être l'expression du mécontentement populaire à l'égard du parti au pouvoir depuis 20 ans, sera minutieusement analysé. Desmond Tutu, le très respecté archevêque, n'y est pas allé par quatre chemins. Le «cœur lourd», il a annoncé qu'il n'allait pas voter pour l'ANC, il a même appelé les électeurs noirs à ne pas servir « de bétail électoral». Tutu reproche à l'ANC d'avoir maintenu les choses en l'état avec une «société qui va se coucher le ventre creux». D'autres personnalités importantes de l'ANC, comme Ronnie Kasrils, ancien responsable de la branche armée de l'ANC, a appelé les Sud-Africains à «voter non ou nul». L'aura de l'ANC reste forte mais elle s'effrite au fil des années. La démocratie avec ses corollaires - liberté d'expression, liberté de la presse, justice autonome - permet de le mesurer même si l'ANC a la haute main sur l'exécutif et le législatif. L'élite noire propulsée par l'ANC a été invitée au banquet des capitalistes blancs alors que les inégalités se sont creusées. Aujourd'hui, grâce à la démocratie politique, l'ANC est contesté. Sur sa gauche, par Julius Malema, expulsé de l'ANC, qui a lancé le parti au nom édifiant des Combattants de la libération économique (EFF). A sa droite, par les libéraux de l'Alliance démocratique (DA). Le «one man one vote» - réel et non fictif - permet d'entrevoir une remise en cause du «compromis» en place depuis 1994 qui donnait à l'ANC le pouvoir politique sans remise en cause sérieuse de l'ordre économique et social qui prévalait sous l'apartheid. Ce processus en marche montre, une fois de plus, que les revendications de progrès social sont plus sérieusement assurées dans un système qui respecte les libertés que dans un système qui les nie ou les relègue au second plan au nom du «développement». Et on peut constater que si le «vote a du sens» en Afrique du Sud, cela tient fondamentalement au fait que les préalables de la démocratie sont assurées. Ces « préalables» - c'est un constat pas un jugement - ne sont pas réalisés en Algérie et c'est bien pour cela qu'on enregistre, en permanence, des contestations sur les taux réels de participation après chaque élection. En Afrique du Sud, où le poids de l'argent est très fort, la démocratie a vingt ans. Elle est encore jeune mais peut mûrir. En Algérie, elle n'a pas encore réalisé ses préalables. Elle n'est pas encore née.