L'armée algérienne a été contrainte d'évacuer l'ambassade à Tripoli pour éviter une nouvelle prise d'otage. Une opération réussie qui prouve que la doctrine paralysante de la non-intervention est éculée et qu'elle doit être adaptée au plus vite. Face au chaos libyen, à l'instabilité au Sahel et aux nouvelles menaces sécuritaires qui s'installent, l'Algérie est contrainte de réviser, dans le feu de l'action, une des doctrines de base de l'ANP, celle selon laquelle l'armée algérienne n'intervient pas hors de ses frontières. L'opération menée dans l'urgence, en début de semaine, pour évacuer de Libye l'ambassadeur d'Algérie, Abdelhamid Abouzaher, et le personnel de l'ambassade, un succès des forces spéciales, a montré sur le terrain qu'il n'est plus possible de conserver une doctrine figée, paralysante, sous prétexte de s'en tenir à des dogmes d'un autre temps. Cette politique a déjà coûté trop cher au pays, et comporte des risques énormes, en plaçant l'armée algérienne dans une situation où elle serait systématiquement obligée de réagir après avoir subi des coups, sans jamais anticiper pour influer sur le cours des évènements. Héritée d'un autre temps, lorsque l'armée algérienne était une armée de libération, cette doctrine pouvait se justifier dans une certaine conjoncture. Elle pouvait même être brandie comme un acte de paix par un pays encore fragile, en construction, et qui avait connu une véritable saignée lors de la guerre de libération. Mais pour un pays qui se veut puissance régionale, acteur incontournable dans sa sous-région, continuer à paralyser l'armée par un choix aussi étroit est devenu un non-sens. Il ne s'agit pas, évidemment, d'envoyer des troupes à tout bout de champ. Il ne s'agit peut-être même pas d'intervenir. Il s'agit simplement de dire qu'on peut le faire, qu'on va le faire si nécessaire, et de le prouver. Pour que les choses soient claires. Pour que l'agresseur éventuel ne puisse jamais penser qu'en dehors des frontières algériennes, il peut bénéficier d'une sorte d'impunité, tant que les autorités des pays concernés demeurent impuissantes, comme c'est le cas au Mali où des diplomates algériens sont retenus en otage depuis deux ans. Et pour éviter aussi que se ne transmette cette idée insidieuse selon laquelle l'armée algérienne laisse à l'armée française le soin d'éliminer les terroristes qui ont ensanglanté l'Algérie, comme Mokhtar Belmokhtar ou les dirigeants du MUJAO qui détiennent toujours les membres du consulat d'Algérie kidnappés à Gao, au nord du Mali. La crise libyenne a singulièrement compliqué les choses tout en les accélérant. Quand l'OTAN a décidé de détruire le régime de Khadhafi, l'Algérie a paru décalée. Elle a mis du temps pour comprendre qu'il s'agissait de la fin d'une époque. Elle n'avait, certes, pas le poids militaire pour imposer ses choix, mais en adoptant le principe de non-ingérence pendant que d'autres puissances intervenaient en Libye, elle a clairement signifié qu'elle leur laissait le champ libre. Pourtant, la Libye, c'est la profondeur historique de l'Algérie. C'est là que qu'a été installée, pendant la guerre de libération, la célèbre base Didouche, centre de commandement du MALG qui a dessiné l'architecture du futur Etat algérien. Aujourd'hui, les pays occidentaux se désintéressent de la Libye malgré le danger qu'elle représente. Seul le pétrole et le terrorisme qu'elle peut exporter les intéresse. La mort d'un ambassadeur américain en Libye, le premier ambassadeur américain à subir un tel sort, a poussé les Etats-Unis à adopter des procédures sécuritaires plus strictes, mais n'a pas changé la donne, alors que sur le terrain, la situation se dégrade de jour en jour. Un nouveau palier a été franchi cette semaine avec la menace de kidnapper l'ambassadeur d'Algérie, les affrontements à Benghazi, et la menace de suspendre le Parlement lancée par un chef de faction. Visiblement, ce n'est pas des Occidentaux que viendra la solution. Ce qui met l'Algérie face à une réalité nouvelle. La géographie incite à penser qu'il appartient à l'Algérie et à l'Egypte de rétablir la paix en Libye, avec l'appui de la Tunisie. Et comme l'Egypte est plongée dans une crise grave, cette tâche incombera à l'Algérie. Tôt ou tard. Car si le boulot n'est pas fait dans l'immédiat, une nouvelle situation risque de se créer, à terme, avec l'apparition de fiefs de type Al-Qaïda. Le MUJAO, Al-Qaïda au Maghreb Islamique, Boko Haram, qui a pris une nouvelle envergure, et les Chebab somaliens, ne sont pas loin. C'est désormais une grande partie de l'Afrique qui est devenue le théâtre de ces affrontements, jusqu'en Centrafrique et au Kenya, où la guerre des religions est en train d'exploser. Au Sahel aussi, la menace est bien réelle. Le Mali reste très fragile. Et contrairement à ce qui se dit dans les états-majors occidentaux, la présence militaire française favorise la prolifération des groupes jihadistes, même si, dans un premier temps, elle freine momentanément leur progression. Et puis, rien ne dit que la présence militaire française va durer. Il suffit d'une recrudescence des attentats, avec de nouvelles victimes françaises, pour que l'opinion occidentale bascule. Ce sont des processus connus. Malgré le 11 Septembre, l'Afghanistan, totalement consensuel au départ - rappelez-vous la formule : nous sommes tous Américains-, a fini par lasser les opinions occidentales. C'est dire que ces opinions, versatiles, peuvent exiger, demain, un retrait des forces françaises. L'Afrique n'étant pas encore prête à assumer ce rôle, l'Algérie sera contrainte de faire face, car c'est sa propre sécurité qui serait alors menacée.