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Poètes d'une parole essentielle
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 18 - 08 - 2014

Les Palestiniens survivants qui continuent de sortir les corps des décombres de Gaza pour les enterrer dans la dignité, en serrant les dents, suivent avec attention et émotion les nouvelles de la bataille que livre leur immense poète Samih Al-Qassim à la mort. Atteint d'un cancer du foie depuis trois ans, l'état de santé de Samih Al-Qasim s'est dégradé ces derniers jours. Et tout le monde s'est souvenu que c'est au mois d'août 2008 que son complice et «jumeau» de la poésie de résistance, Mahmoud Darwich, a tiré sa révérence.
Pourquoi les Palestiniens, qui meurent si facilement dans le silence ou dans si peu de bruit, sont-ils à ce point attachés à leurs poètes au point de ne pas se résigner à les voir partir ? Probablement parce que leur voix dit l'essentiel de leur humanité de manière si forte, si puissante et si humaine qu'elle transcende tous les clivages et dépasse tous les discours politiques. Les Palestiniens ont été bouleversés par le départ de Mahmoud Darwich, mais ils ont découvert, durant ces années d'absence, combien sa présence est forte. Ils ont pu voir combien ses mots continuaient à creuser des sillons profonds dans les consciences. Combien ils gardaient intacte la vérité d'un combat qui, comme c'est le cas de tous les mouvements de libération, connaît des hauts et des bas.
Samih Al-Qassim dont les poèmes - comme ceux de Mahmoud Darwich - ont été amplifiés avec grand art par Marcel Khalifa, est de la même stature que son «jumeau». Il ne prétend pas au statut de «porte-parole», un vilain mot que les poètes ne peuvent que réprouver ou tourner en dérision comme Samih sait si bien le faire. Lui et Mahmoud ne sont pas des porte-paroles. Ils sont cependant la parole palestinienne par excellence. Samih Al-Qassim est un résistant. Dans tous les sens du terme, un homme qui ne plie pas, qui ne cède pas, qui contrarie, qui combat. Sans être un surhomme. Juste en étant un homme, qui aime la terre, le pain, les choses de la vie… Un homme qui considère que le cancer qu'il a dans son corps est moins grave et moins sournois que le «cancer de l'occupation».
Pourquoi les Palestiniens ne se résignent pas à perdre leurs poètes ? Parce que leur voix est une thérapie contre l'oppression. Des voix qui reconstruisent continuellement, dans la colère, dans l'amour, dans l'odeur du pain et du café au matin, dans le geste pudique et tendre de la mère, un pays volé et interdit. Ils deviennent ainsi les créateurs d'une mémoire vivante, des constructeurs et des accumulateurs de sens pour un peuple mené d'un absurde à l'autre, d'une injustice à l'autre.
«Je sais que mon corps est ton lit… Et mon âme ton drap / Je sais que tes rives se rétrécissent sur moi… Je ne t'aime pas ô mort. Mais je n'ai pas peur de toi», a écrit Samih Al-Qassim dans une déclamation de défiance au mal qui le ronge. Et il n'en a pas peur vraiment. Certes, il aimerait encore un peu de temps, il a des choses à faire sur cette terre, marier un fils, terminer un livre, engager une autre œuvre. Mais si elle vient, dit-il avec son humour indestructible, «Toz, fiha». C'est qu'il est déjà vainqueur. Comme Mahmoud. Ses poèmes-chansons, appris en Palestine et au-delà, continueront à résonner dans les cœurs et à perpétuer le combat par-delà la mort.
Les Palestiniens aiment leurs poètes parce que nul ne les exprime aussi bien. Sur la page Facebook des amis du poète, les messages sont nombreux et poignants. Il est leur voix ce poète qui a dit : «Moi, sur mon dos il y a des rochers mais il n'a point plié».


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