Incontestablement, Samih Al Qassim est l'une des voix novatrices dans le champ poétique palestinien. Ce poète fait partie de cette génération pour laquelle le poème ne se solde pas à triste gabegie du slogan ou pour reprendre le titre d'un poème de l'écrivain nigérian Wole Soyinka, Ma langue n'épouse pas les slogans. Engagé pour la noble cause de son peuple, ses innombrables incarcérations et licenciements en témoignent, et sans se laisser abêtir par les ténèbres préfabriquées dans les pernicieux laboratoires du nationalisme arabe, il trouve dans le poème l'essence même de sa cause d'homme et le vrai lieu de la lutte. Et c'est justement sur ce point précis -l'état poétique palestinien- que Mahmoud Darwich insiste dans son magnifique livre la Palestine comme métaphore «J'ai construit ma propre patrie. J'ai même fondé mon Etat, dans ma langue». Samih Al Qassim est une constante de cet état inviolable que par les vrais ennemis de l'homme : la duperie et le mensonge. Ami de Darwich dont le livre Palestine mon pays, l'affaire du poème (éditions de Minuit) rend compte de quelques correspondances où deux authentiques voix parlent de ce pays frappé en pleine vertèbre et de ce poème irréductible qui chante l'amour a tout vomi d'obus. Poignée de lumière, traduit de l'arabe par Mohamed Saad Eddine El Yamani (édition Circé/poésie), témoigne de ce souffle récalcitrant qui refuse toute forme de soumission à la vacuité des slogans qui font encore, malheureusement, de belles saisons ni le «cancer de gloire» qui a atteint ceux qui bâtissent leur survie sur les cadavres en faisant ainsi un fonds de commerce. La voix d'Al Qassim impose la parole qui emprunte les chemins de l'essentiel, chemins de l'homme digne de l'écorce d'une humanité neuve et porte haut les murmures de ceux à qui on a interdit de parler. Ce qui frappe de prime abord, c'est l'originalité des images poétiques et les multiples manières dont le poète sonde les territoires de son être. L'amour hisse le mât de son bateau et annonce un voyage dans l'homme. L'exigence de ce poète est exprimée par cette recherche de nouvelles images qui, par ailleurs, assure la survivance puisque «la haute mer est fertile en légendes», écrit-il dans le premier poème, Poème d'amour, poème de la mort. «Un requin tombe dans les profondeurs terrassé d'un coup de poing de mes coups de dent un autre succombera des dents du poème de mon âme enténébrée», écrit-il. Le poète, centre des tremblements de toute explosion, porte les affres de sa terre incendiée, violée et trahie : «Comment dormir, si les linceuls sont nuages pluvieux qui ont absorbé tout mon pays ?» interroge-t-il. Oui, le pays est absorbé par la mort et sera enterré bientôt si le poète expose sa parole aux enchères. Ce texte est profondément traversé par l'apocalypse des temps présents où seule la souillure de l'homme règne. Le poète pénètre ce corps enchaîné et «sillonne sa prison captif des naissances». Et ne se laisse pas emporter par «le tourisme en linceul». «Notre métier est notre seul savoir-faire», écrit le poète sans emphase. Dans ce trou où «face à chaque bouche, la serrure d'un tyran», le poète clame le verbe tranchant : «Laissez retentir la tristesse du chanteur dans la joie de vos chansons.» Même si «les fêtes assaillies» par «la sécurité», même si «les légendes sanglantes de leurs amours» saignent, le chant est le seul pays où la naissance est à la voix de ce qui annonce «espoir de libération et espoir d'indépendance», dira Darwich. Cette poignée de métaphores exprime profondément ce à quoi aspire le peuple dont le poète est la voix et, là encore, ce n'est pas fini, car, là où il y a des failles, le poète est le premier à les dire. Conscient que l'essentiel est menacé par l'effondrement, le poème devient le lieu de la lutte, la vraie; dès lors, le poète en éveil déjoue la facilité pour inscrire son poème dans la durée, car, un poème n'obéit pas à la seule circonstance de sa naissance, il est poème parce qu'il transcende son temps. En ce sens, Darwich dira que «le politique, dénué d'approche culturelle ou d'imaginaire poétique, demeure de l'ordre du conjoncture». Et ce n'est pas fortuit si cette génération est la première à porter poétiquement la question palestinienne dans la modernité. A. L.