Combien faut-il de cadavres d'enfants, de femmes et d'hommes recrachés par la Méditerranée pour que la conscience des Arabes soit ébranlée ? La photo de Aylan, trois ans, retrouvé, ce mercredi matin, gisant sur une plage de Bodrum en Turquie, a bouleversé le monde. Face contre le sable, Aylan symbolise à lui seul cette tragédie de la migration vers l'Europe au détriment de sa vie. De celle de sa famille. Abdullah Kurdi, le père de Aylan, voulait fuir la guerre en Syrie. Il perdra dans l'aventure son autre fils de cinq ans ainsi que la mère de ses enfants, morts noyés dans le naufrage de leur embarcation avec neuf autres réfugiés syriens, en pleine nuit alors qu'ils tentaient de rallier l'île grecque de Kos, censée leur ouvrir les portes de l'Europe. En fin de parcours, il retournera en Syrie pour enterrer sa famille à Kobané. Son seul tort a été de vouloir sauver sa peau et celle des siens en fuyant un pays mis à feu et à sang. Le cas des Kurdi n'est pas unique et Aylan n'est pas le seul cadavre d'enfant rejeté par la mer. Ils sont des milliers qui ont crevé, la gueule ouverte, noyés près des côtes italiennes, grecques ou espagnoles. Mais voilà, les médias ont voulu faire de Aylan un symbole de cette chevauchée dramatique des vagues à dos de cargos de la mort, affrétés par des passeurs organisés en bandes criminelles. L'Europe qui se barricade, qui construit murs et tranchées barbelées pour empêcher cette migration massive, qui se cache derrière une crise économique et identitaire pour fuir ses responsabilités, se retrouve au cœur d'un drame à échelle mondiale. Ce n'est pas dix ou cent voire mille migrants qui rament à bord de «bôté» pour échapper à la misère sociale, ce sont des centaines de milliers de réfugiés d'une guerre déclenchée par cette même Europe aux ordres des Américains et avec la bénédiction des monarchies du Golfe. Alors que l'Allemagne a décrété, Merkel en tête, qu'elle est prête à accueillir les réfugiés syriens, suivie par le Royaume-Uni, la Slovaquie et le Québec, ni l'Arabie saoudite ni le Qatar encore moins les Emirats arabes unis n'ont proposé de le faire. Des pays qui attisent les feux de la guerre, finançant les groupes terroristes juste pour faire tomber l'Iran et ses présumés alliés dans la région. Des pays qui préfèrent pactiser avec Israël au détriment de leurs coreligionnaires pour un leadership à la couleur des millions de morts en Irak, en Libye et en Syrie. Dors en paix Aylan, toi et tous tes frères et sœurs, victimes de la lâcheté des Arabes du désert et du cynisme de l'Occident.