Après l'intervention militaire en Syrie, la Russie ouvre le front diplomatique en recevant Bachar El-Assad au Kremlin. L'issue du conflit dépend désormais d'un consensus géostratégique américano-russe dans la région. A l'évidence, la guerre en Syrie ne concerne pas les seuls Syriens entre eux. D'autres forces, non syriennes, obéissant à des «ordres de route» de centres de pouvoirs étrangers ayant des intérêts géostratégiques dans la région, s'affrontent dans ce pays. Partie d'une revendication populaire pour plus de liberté et de démocratie, la « révolution pacifique syrienne» fut, très vite, noyautée et investie par diverses forces étrangères qui l'ont transformée en une guerre civile effroyable qui déborde aujourd'hui le cadre de sa propre géographie : violence et tentative de déstabilisation de la Turquie, impact militaire en Irak, flots de réfugiés vers l'Europe et ailleurs, accélération loin de l'actualité de la colonisation israélienne en Palestine, recrudescence des réseaux terroristes et djihadistes en Europe et dans les pays arabes affaiblis, etc. Du coup, le retour à la paix échappe aux seules forces syriennes en conflit. Il dépendra du compromis politique entre les grandes puissances qui parrainent le « dialogue intersyrien ». Nous l'avons écrit dans ces mêmes colonnes: « Tout le monde sait que sa fin -la guerre- dépendra du rapport de forces USA- Russie Sans un compromis entre Russes et Américains, le conflit s'éternisera L'UE fait office de figurant dans l'équation syrienne » (Le Quotidien d'Oran du 02 juin 2013). Rappelons comment « l'opposition démocratique » syrienne, soutenue par les Occidentaux, avait abandonné la 2e Conférence de Genève (juillet 2013) refusant de négocier avec les représentants du régime syrien, exigeant la reddition et le départ de Bachar El-Assad. Au même moment, les ministres des Affaires étrangères russe et américain, réunis ailleurs, se séparaient sans le moindre accord. Aussi, l'implication militaire de la Russie en Syrie depuis plus d'un mois peut, contrairement aux déclarations des analystes occidentaux, accélérer la fin de la guerre et hâter un processus de paix entre les seuls Syriens. Les Européens, quant à eux, commencent à mesurer toute l'ampleur du conflit au travers de la crise migratoire qu'ils subissent et la multiplication du risque terroriste sur leur sol. Ils suivront, de fait, les Américains lorsque ces derniers trouveront un accord avec les Russes. Les Européens comprennent aujourd'hui, malgré les déclarations de leurs responsables anti-Bachar El-Assad, qu'ils sont les « dindons de la farce » de la politique américaine dans toute la région du Proche et Moyen-Orient. Les Russes, eux, n'interviennent pas en Syrie par simple affinité ou solidarité avec les Syriens : ils défendent leur pré carré géographique et géostratégique. Est-il nécessaire de rappeler toute la stratégie « d'encerclement » de la Russie de Poutine menée par les Américains avec l'appui des Européens ? Les crises géorgienne et ukrainienne, le bouclier antimissile américain en Pologne et Tchéquie, la dispute sur les routes énergétiques (gaz essentiellement), etc. Vladimir Poutine fait de la « géostratégie préventive » : après avoir subi le harcèlement euro-américain, il a décidé de passer à l'offensive. Et quel terrain plus stratégique que celui de la Syrie s'y prête le mieux ? Il vient de frapper un grand coup en recevant au Kremlin le président Bachar El- Assad. Il annonce clairement qu'il ne peut y avoir de solution à la guerre sans consultation du président syrien. Après la salve militaire sur le terrain, Vladimir Poutine ouvre l'aspect diplomatique et politique dans l'équation syrienne. Au-delà, il proclame le retour de la Russie dans les affaires du monde. Si les Américains maintiennent la tension en faisant du départ d'El-Assad une condition non discutable, ce sont les Européens qui subissent en premier les effets de la crise syrienne : flux migratoires, embargo financier et économique russe, risque terroriste, etc. De plus, des fissures apparaissent dans la famille européenne. Des pays tels ceux du Nord et de l'Est européens manifestent un réel malaise face à l'intransigeance des pays meneurs de cette guerre comme la France et la Grande-Bretagne. La politique extérieure commune de l'Europe, déjà bancale, risque de voler en éclats. Pour preuve, le Service d'action extérieure de l'UE, le SEAE, sorte de ministère des Affaires étrangères de l'UE, est complètement absent, muet et paralysé dans cette crise. Désormais, l'issue du conflit syrien dépend du seul accord que trouveront Américains et Russes. Pour faire la paix, il faut être deux, dit l'adage. Croisons les doigts pour la Syrie.