Bakhti Belaïb jette un pavé dans la mare, en évoquant les irrégularités dans le commerce extérieur. Le ministre du Commerce Bakhti Belaïb a lancé ce qui s'apparente à une nouvelle affaire des 26 milliards. Au cours d'une émission de radio, diffusée dimanche matin, le ministre du Commerce a évalué les transferts illicites de devises vers l'étranger à 30% du commerce extérieur. Avec 60 milliards de dollars d'importations, en 2015, cela représenterait le chiffre de 18 milliards de dollars. Mais M. Belaïb n'en démord pas car, selon lui, dans le secteur du Commerce, « le taux de délinquance est très élevé », comme l'attestent les chiffres qu'il a fournis : 24.000 constats d'infraction, 40 milliards de dissimulation de chiffres d'affaires, 24.000 tonnes de marchandises bloquées aux frontières pour diverses raisons, et « plus d'une centaine d'importateurs » poursuivis en justice, pour divers délits. Cela ne concerne que la partie visible, là où des contrôles ont été effectués, a-t-il dit. Cela n'empêche pas M. Belaïd d'apprécier le rôle des commerçants, et notamment des importateurs. Leur activité a notamment permis d'éliminer les pénuries récurrentes qui marquaient l'économie du pays avant la libéralisation du Commerce extérieur, a-t-il dit. EXCESSIF Toutefois, de ce qu'a dit le ministre, c'est surtout la partie concernant l'évasion de devises qui retient l'attention, tant elle rappelle l'affaire des 26 milliards de dollars. De nombreux analystes ont d'ores et déjà, sorti leurs calculettes après la déclaration de M. Belaïb: à ce niveau, l'Algérie aurait perdu, dans les 100 milliards de dollars, depuis 2010, avec la hausse des importations consécutive à la flambée des prix du pétrole. L'ancien Premier ministre Abdelhamid Brahimi avait procédé de la même manière pour sortir l'affaire des 26 milliards. Il avait repris des estimations selon lesquelles les commissions sur le Commerce extérieur de l'Algérie, représentaient 20% des importations. Au cours d'une conférence à l'Université du Caroubier, à Alger, il avait fait un calcul selon lequel ces commissions atteindraient 26 milliards de dollars, du moment que les importations, depuis l'indépendance, s'étaient élevées 130 milliards de dollars. Avec l'explosion des importations, les chiffres ont atteint une autre dimension. Ceux avancés par M. Belaïb paraissent excessifs, mais les mécanismes qu'il décrit pour l'exportation illicite des devises sont bien connus du gouvernement. FACTEURS ENCOURAGEANT LA FRAUDE Les surfacturations sont un phénomène établi. Les procédés utilisés sont connus. C'est leur ampleur qui semble surprendre les non initiés, et les spécialistes occasionnels. Un ancien haut responsable déclarait, il y a trois ans déjà, qu'il est impossible que les importations algériennes aient atteint le niveau annoncé. Il avait mis en cause l'ensemble des chiffres officiels, affirmant que l'économie algérienne et la consommation seraient bouleversées si ces importations étaient vraies. Il avait raison : une partie des importations était fictive, comme l'ont confirmé les surfacturations. Qui fraude le plus ? Les opérateurs algériens, répond M. Belaïb. Alors que l'opinion la plus répandue pointait du doigt des entreprises étrangères, le ministre du Commerce rectifie en accusant des opérateurs algériens. Pourtant, les affaires les plus connues, portées devant la justice, mettaient en cause des entreprises étrangères, comme Sanofi, dont le patron avait même été condamné par la justice algérienne. Des banques avaient, également, été mises en cause pour leur complicité. FACTEURS MULTIPLES Les surfacturations sont causées par trois phénomènes. Il y a d'abord l'incertitude politique et économique, qui pousse les détenteurs d'argent à tenter de s'installer à l'étranger. On relève, à ce titre, que les derniers déboires de Issaad Rebrab ont montré qu'il n'y a aucune garantie d'immunité en Algérie, et que la richesse ne constitue pas une protection absolue. PARITE DU DINAR Il y a, ensuite, la parité du dinar qui incite aux trafics permettant de faire des bénéfices énormes en jouant simplement sur le taux de change. Un opérateur de l'import-export, qui exporte 10.000 euros, à destination d'une entreprise qui lui appartient à l'étranger, fait un bénéfice de 50% grâce au seul taux de change, s'il décide de revendre ces euros, en Algérie, au marché noir. Enfin, il y a la législation archaïque, et la complicité de l'administration chargée de l'appliquer. Celle-ci doit bien se douter qu'un importateur qui ne déclare pas de bénéfices, en Algérie, doit trouver son compte ailleurs. Elle ferme les yeux. Pour quelle raison ? M. Belaïb ne le dit pas. Mais il doit bien s'en douter, lui aussi. Ce qui jette un doute sur son avenir au sein du gouvernement.