C'est la frénésie sur les places boursières informelles. Aux aguets dans tous les coins de la place du 1er Novembre (Constantine), les cambistes apostrophent presque tous les passants avec la question ressassée sans fatigue, «change euro ?», et sans attendre la réaction de leur vis-à-vis, les yeux scrutateurs sont déjà posés sur un autre client potentiel. «Vous voulez changer des euros, je vous offre un bon prix», tentait un cambiste d'accrocher un homme qui avait à la main un petit sachet noir. Il arrivera à lui proposer «183 dinars contre un euro». Un autre jeune, désespéré par l'absence de clients, lève les mains pour signaler à son copain qu'il n'y a rien à gratter. Quelque chose d'inhabituel plane sur cette place réputée du change informel des devises, aucun cambiste n'exhibe dans ses mains les liasses de billets de banque, tous avaient l'air de se méfier des «inconnus curieux», ou de toute personne étrangère qui s'installe sur les lieux pour une longue durée, et l'on semble en même temps animé d'un réflexe offensif pour être le premier à négocier avec le premier client qui pointe du nez. D'une part, nous a-t-on expliqué, la descente de police dans le milieu des cambistes informels, la semaine dernière, où des saisies d'importantes sommes en monnaie étrangère et en dinars ont été opérées, a mis tout le monde en état d'alerte, d'autre part l'assèchement qui frappe de plein fouet le marché de la devise pousse les cambistes à adopter une attitude agressive pour s'emparer du moindre euro qu'on met sur le marché. Difficile, donc, de faire parler les cambistes sur le cours du change parallèle de la devise. Mais les langues finiront par se délier, et l'on parlera de «cette flambée de l'euro qu'on n'a jamais vécue, et qui n'est pas près de connaître un adoucissement». «Hier (ndlr, vendredi 22 janvier), l'euro a atteint 185 dinars», affirme un cambiste qui garantit qu'«il achèterait maintenant la monnaie unique européenne à n'importe quel prix, il n'y a aucun risque de perte», a-t-il estimé. Selon ses prévisions, «l'euro va encore augmenter dans les prochains jours, et il finira bientôt par dépasser le seuil des 200 dinars pour un euro». Tous les indices nous rapprochent vers «un baril de pétrole au prix d'un euro sur le change parallèle (!), et pas besoin d'être expert économiste ou spécialiste boursier pour déterminer la tendance à la hausse de l'euro», raillent des cambistes. «Vous pouvez lancer toute l'offre de la devise que vous voulez ou que vous pouvez sur le marché, et vous êtes assurés que tout sera raflé en un clin d'œil, cela veut dire que la pression de la demande est très forte et que le change des devises sur le marché noir s'installe confortablement sur une courbe ascendante», expliquent nos interlocuteurs parmi les cambistes. Pour ces derniers, la hausse fulgurante de l'euro sur le marché de change informel est provoquée par deux facteurs, l'écroulement du dinar dans le sillage de la crise économique qui frappe le pays et la relance récente des activités de l'importation dans plusieurs secteurs après un blocage de plusieurs semaines. «Ce sont les importateurs qui, après avoir reçu les autorisations d'importation, ramassent toute la devise sur le marché», soutiennent nos interlocuteurs. D'où la flambée enregistrée ces derniers jours sur le marché de change au noir de la monnaie forte. L'euro a, ainsi, enregistré 3 dinars en plus, le dollar américain 1,50 dinar (166,5 dinars contre un dollar) et autant pour la livre sterling (242 dinars contre une livre sterling). Au niveau des banques, l'euro s'échangeait officiellement à la vente, hier, contre 118,43 dinars. Près de 65 dinars de différence entre les deux bureaux de change, ceux de la rue et les guichets des banques (!), des guichets de banque qui, au fond, ne changent pas grand-chose, car les devises n'y sont pas disponibles à l'achat. Et c'est ce qui a, d'ailleurs, encouragé la propagation des opérations de change sur le marché noir à des taux qui n'obéissent à aucune moralité ou règle financière.