«Nous sommes tous des immigrés, il n'y a que le lieu de naissance qui change». Anonyme. De même qu'il est une histoire, il est un art d'immigration. L'immigration est un fait éternel qui appartient à tous les âges des sociétés, permanent et normal. L'intégration, elle, est un fait réfléchi, soumis à des règles qui ne peuvent parvenir que d'un désir assuré. La sociologie dépeint ce phénomène comme l'un des plus complexes et les plus délicats à traiter de la physiologie sociale. Et nous avons devant nous la diaspora algérienne en France comme un exemple flagrant des complexités du phénomène de l'immigration, lesquelles participent à l'installation d'un imbroglio permanent à l'échelle nationale en France mais aussi, et surtout, en Algérie. On peut se plaire à comparer l'Algérien qui s'installe en France à un rameau que l'on détacherait d'un végétal plein de sève et que l'on planterait dans un terrain plus neuf, moins affaibli et plus ubéreux. Cependant, il faut souligner que cette comparaison a ses limites. Pour bien explorer la vie des immigrés, il faut savoir voyager avec eux en Algérie. L'été approche, et la France s'apprête à livrer comme chaque année à l'Algérie l'incarnation de l'immoral échec de sa politique éducative. Près d'un million de personnes d'origines algériennes inonderont les rues d'Alger, d'Oran, des plus grandes villes jusqu'aux microscopiques villages. On pourrait être prolixe sur les bienfaits économiques de ces semaines de «vacance» passées en Algérie, mais ça reste, en tenant compte de la totalité des facteurs, un phénomène avec énormément d'inconvénients pour très peu d'avantages. Chacun vient en gloire après 11 mois de travail acharné -ou de paresse salariée- quel que soit son niveau, son revenu comme un homme qui aurait laborieusement gravi, à grand-peine, une haute montagne pour découvrir enfin tout le territoire environnant. Chaque journée d'été conserve dans son sein de mystérieuses mosaïques et à chaque instant, elle nous livre tant d'absurdités et d'énigmes. «Immigrant. Individu mal informé qui pense qu'un pays est meilleur qu'un autre». Ambrose Bierce Ces Français d'origine algérienne m'en voudront-ils de noter qu'à peine atterrissent-ils sur le territoire algérien que le désir de s'idéaliser et de s'orner se manifeste chez eux, exactement comme lors du premier rendez-vous galant d'un puceau ? Une fois à la maison de leur grand-père -ou le pied-à-terre de leurs parents-, ils adorent se distinguer, se démarquer de leurs cousins avec des habitudes comportementales peu convenables. Il me paraît abject d'user du droit d'être différent dont la vanité livresque à certains moments devient un instrument de dissociation nationale. Mais ce qu'on ne peut point constater sans surprise et sans étonnement est leur schizophrénie que l'on perçoit aisément lorsque, optant pour une conduite singulière et des airs hautains; là où il n'y a pas lieu de s'enorgueillir, ils s'expriment sur le régime algérien en le présentant incessamment comme un groupe de personnes qui aurait organisé le vol comme une industrie et le banditisme comme une institution ! Sans jamais éprouver la sensation de devoir estimer la réelle complexité de la situation en Algérie. Plus on étudie nos émigrés, plus on se convainc qu'ils n'ont guère le droit de revendiquer aucune supériorité car : premièrement, tous les hommes se valent, Dieu seul est grand et secondement là où ils échouent en France, là où ils ne savent pas exiger un traitement sur le pied de l'égalité, il naît chez eux un desiderata qu'ils chérissent combler en Algérie. Et pour peu qu'on y pense, on s'aperçoit qu'il s'agit là du fruit d'une éducation mal pensée et une scolarité désastreuse offrant même des pseudo-intellectuels à la fois maîtres et esclaves dépendamment de quel côté de la rive l'on se situe. Ils étaient venus pauvres dans un pays riche, ils s'en retournaient riches de ce même pays laissé pauvre, diront les esprits abjects-extrémistes- dans quelques décennies pour parler des Syriens. Pas moins pour la formation de l'Homme, une communauté ne doit pas être délaissée au hasard, laissée seule dans son combat contre les tribulations qui frappent successivement. Or, il est vrai qu'un groupe de personnes même dépourvu de soins peut grandir et fructifier par la simple influence d'un «entourage» avantageux et de circonstances heureuses. C'est pourquoi le problème d'immigration qu'il s'agissait de résoudre autrefois pour les Algériens se présente encore le même à résoudre aujourd'hui pour les Syriens. Dans quelques décennies, on s'appuiera sur l'exemple des réfugiés syriens pour confirmer cela tout comme l'on peut s'appuyer actuellement sur l'exemple des Algériens qui étaient arrivés en France après la liberté donnée par l'administration coloniale française aux Algériens de s'installer en France métropolitaine à partir de 1947. Ces Algériens étaient venus dans l'espoir de gagner assez d'argent afin d'assurer de la viande sur la maïda en dehors de l'Aïd el-Kébir. Mais depuis, tant d'éléments divers ont influencé le développement de la diaspora algérienne en France et ça a fini par créer d'énormes distances au sein des couches formant cette même catégorie de la société française dont le dernier est incontestablement le faux islam que prêchent les faux prédicateurs pour qui toutes choses au monde leur semble réglées par un décret d'en haut. L'ancien émigré n'a jamais vécu en France pour y vivre mais pour y avoir vécu ! Et ses enfants, Français de naissance, ont cela de remarquable qu'ils n'ambitionnent pas pour la France des destinées plus hautes ni pour l'Algérie un meilleur statut économique, car cela chasserait la dépréciation du dinar face à l'euro : la seule chose qui les pousse à prendre encore Air Algérie. Car l'argent, c'est la clé magique qui ouvre toutes les portes, et chez l'Algérien beaucoup plus que chez les autres peuples, le fric est la marque de noblesse devant laquelle se courbent les fronts les plus hautains. Cette affirmation, comme on le sait ou comme l'on se borne à dissimuler, s'appuie sur des faits. Les principes des premiers émigrés ne sont plus les mêmes qu'épousent les récents, or les enfants des premiers conçoivent paradoxalement l'Algérie comme une mère patrie pour la simple raison que leurs ancêtres ne sont pas Gaulois. Bien qu'ils soient élevés en France et aient côtoyé l'école française, ils ressentent par moment la nostalgie du dépaysé. Les filles prennent toujours garde à leur chasteté, non pas poussées par une philosophie de vie, mais parce que le plus démuni des blédards préférera marcher pied nu que de fouler une botte déjà souillée par un autre ! Ces filles présenteront à leurs parents comme une forme de droiture l'origine de son épouseur. Le monde de liberté de nos émigrés est individuel, ils méconnaissent ce big deal pour obéir qui fait les nations. Ils ont la révolte dans le sang où circule la sève du feu de l'individualisme. D'ailleurs, ils préfèrent «l'oisiveté» la moins bien payée au travail le moins mal rémunéré. En se prenant à s'y intéresser, mais à en juger d'un sens plus profond des réalités, on constaterait que les enfants d'émigrés -Français de naissance- se représentent le travail en France comme une œuvre dégradante et avilissante. Ce plan de conduite, ce corps de préceptes donne l'argument aux extrémistes d'appeler au refus d'asile aux Syriens. Et c'est exactement à ce niveau que la comparaison citée au début devient un rapprochement candide, car au contraire de la bouture et la plante dont elle a été détachée qui donne une situation où ne subsiste plus aucune relation entre les deux; chacune d'elles poursuit de façon séparée sa croissance, son agrandissement. L'émigré est de nature humaine portant la mémoire dans la peau, refusant ainsi d'adhérer ne serait-ce que par intermittence à des lois qui lui semblent heurter les valeurs de sa pensée religieuse et de son algérianité. Il y a entre le Français et son père algérien qui lui a donné le jour un échange permanent d'influence, une réciprocité des façons de voir, une continuité de rapports, créant ainsi une communauté qui ne se défend point ou se défait des injustices sociales, et malencontreusement, les façons de voir ne changent pas aussi facilement et rapidement que le croient beaucoup d'esprits ingénus. Les premières vagues migratoires une fois arrivées en France concevaient et distinguaient les rapports qu'on doit accorder pour la mère patrie de ceux pour le pays d'accueil. Tous ont pensé et agi pareillement sous les mêmes craintes d'expulsion. Mais dès qu'un couple se voyait enrichi d'un nouveau-né, accouché par une Française dans un hôpital français, naît l'impression de « chez soi ». Et ce n'est pas comme on pouvait le croire. C'est un sentiment auquel l'éducation ne leur a guère préparé. Vivre en France est-ce un luxe? Je n'en sais fichtre rien, toutefois, parler français demeure prestigieux au regard de la société algérienne. Alors qu'il suffit d'étudier le poème le moins travaillé d'Abu Nawas pour s'éveiller au pouvoir d'évocation de la langue arabe; prendre au hasard des vers d'Al-Mutannabi pour tout simplement s'émerveiller ! Il n'y a pas une langue meilleure qu'une autre. Il est simplement des gens qui ne voient en «l'autre» que ce qui leur fait croire qu'ils leur sont inférieurs ou, à la fois bêtement et risiblement, supérieurs. Pour des milliers et des milliers d'Algériens, la France est souvent le but qu'adolescent se fixent-ils, et sans doute le regret de leur âge mûr. Je l'admets, mon titre est malvenu, car Bleuler quand il a conçu ce terme : schizophrénie, c'était pour décrire la psychose menant à la rupture du contact avec la réalité, pour décrire un caractère évolutif comme une maladie. Est-il ici question d'une maladie ? Peut-on déjà parler de schizophrénie collective ?