Et si tous les films de la sélection officielle étaient en fait réalisés par des cinéastes de chez nous ? Chronique festivalière en forme de fièvre passagère. «What ????? You want to kill me ?» Ce cri lancé peu après minuit hier à la plage du Majestic et qui a déclenché toutes les alarmes de Cannes n'était pas de Robert De Niro qui vient d'arriver, mais bel et bien de l'envoyé spécial du Quotidien d'Oran qui revient tous les ans, depuis un peu plus de 20 ans, sans que personne ne le remarque. Ce cri était la seule réponse possible quand le Festival annonça l'arrivée imminente du grand écrivain SAS, Sid-Ahmed Semiane, auteur d'un premier documentaire «Wrong Elements» que le Délégué général juge «nécessaire, courageux et totalement réussi». Ainsi après Dilem, puis Slim, puis enfin Chawki Amari l'année dernière, le tapis rouge allait accueillir les Stan Smith pourries de SAS. Déjà en hiver, quand le Festival de Cannes songeait sérieusement à inviter Kamel Daoud en tant que membre du jury en sa qualité d'écrivain star, tout a été fait pour saboter le plan : envoi d'une arme de destruction massive de tibias cachée sous un skateboard dernier cri et activation du puissant lobby algérien basé à Cologne, connu sous l'appellation «Nous sommes des voleurs, pas des violeurs» pour un travail de sape fructueux. Mais SAS, franchement, personne ne le voyait venir. On croyait qu'il était en train de réaliser un fade documentaire sur les faux jeunes musiciens de l'ère bouteflikienne avec les bouts de ficelles d'une production minable dont le siège est basé dans le garage d'une villa sans charme à Kouba, et avec comme chef op' Hi Ya, un myope intégriste spécialiste des plans fixes sur des roues qui tournent à vide, et au son le jeune et joli Houss Ine qui devrait plutôt tenter sa chance comme acteur au lieu de s'entêter à vouloir réinventer la radio du siècle dernier. En fait, le projet musical n'était qu'une couverture pour mener à bien un documentaire explosif et passionnant sur les enfants qui ont fait le djihad dans les maquis du GIA. SAS a trouvé la trace de quelques enfants-djihadistes, aujourd'hui adultes, et leur donne la parole. Mais au lieu de les faire parler les uns après les autres, il choisi le plus souvent de les filmer en train de discuter entre eux. C'est passionnant aussi bien au niveau des témoignages recueillis que de la mise en scène . Des rires alternent avec des pleurs, ces adultes marqués par les viols et les assassinats dont ils sont tout à la fois les auteurs et les victimes, tentent de rejouer la sale guerre pour retrouver cette enfance confisquée. «On suivait les ordres» disent-ils...Des moments poignants sont filmés dans un bel effet de distance, surtout quand les enfants-tueurs se retrouvent face aux familles des victimes. Dans «Wrong Elements», SAS rappelle que pour faire le deuil d'un traumatisme aussi généralisé que la guerre civile des années 90, il faut adopter l'exacte contraire de la politique du déni et de l'oubli imposés par décrets. Trop beau ce documentaire, pas possible de le laisser à SAS. Après avoir imploré les autorités cannoises avec l'aide amicale du Makhzen marocain, à la toute dernière minute le film très attendu a subi quelques changements. A la place de SAS on a opté pour l'écrivain Jonathan Littel, et les enfants djihadistes algériens ont été remplacés par les enfants soldats ougandais de l'Armée de la résistance du Seigneur. Du coup, le pauvre SAS a été bloqué à Marseille. Ouf, qu'il en profite pour aller filmer les chanteurs de raï abonnés aux Beaumettes, en se contentant de sandwichs Qarantitas, par ailleurs pas si mauvais, qu'on peut trouver dans le quartier arabe de Noailles. Et qu'il n'oublie surtout pas de demander des reçus, pour être peut-être remboursé dans 8 mois par Sora Productions. # Alaâ Mentag.