De l'héritage de la période de l'Emir Abdelkader il en est très peu de vestiges conservés, à ce jour, à Tlemcen. Parmi des rares traces ayant survécu après l'indépendance, il y a la résidence du célèbre généralissime de l'Emir Abdelkader, Mohamed al-Bouhmidi (1782-1848) khalifa de Tlemcen. En 1830, cette demeure fut le siège du khalifa de l'Emir avec à sa tête ce personnage emblématique de la résistance coloniale sous la férule du héros national. Au début de l'occupation définitive de Tlemcen, en 1842, ce lieu allait devenir, naturellement, le siège de l'autorité militaire coloniale d'où le nom de «Dar al-Djininar». De cette maison il en est resté, jusqu'à ces dernières années, quelques traces dont la demeure du célèbre chef de la résistance sous l'Emir ainsi que des ruines de bâtisses d'époque que les buldozzers ont rasé pour laisser place à une nouvelle construction. Cette maison gardait encore ses allures et son style maghrébin avec patio, péristyle Les habitants de la ville de Tlemcen retiendront de «Dar al-djininar», le souvenir d'un lieu sinistre et silencieux de tortures, pendant la guerre de Libération nationale. Le devoir de mémoire aurait rendu nécessaire la remémoration de ce lieu, témoin de la lutte de l'Emir dans la région, sous son nom historique de Dar Mohamed al-Bouhmidi'. Donner sens à la résistance et à la libération c'est raviver le souvenir, sans exclusive, de tous les grands moments de l'histoire chargée du pays, à différents âges. La résistance a duré, en effet, le temps de la présence coloniale. Les 130 années de cette présence n'ont pas été sans le sang versé par les héros et martyrs de ce pays tombés au Champ d'honneur lors des batailles, d'exils, d'emprisonnements La mémoire de la résistance, sous la bannière de l'Emir et des chefs des insurrections populaires n'est pas à biffer de l'histoire de notre pays. C'est un moment important suivi d'autres et qui ont conduit à l'insurrection nationale, le 1er Novembre 1954. Mohamed Al-Bouhmidi (al-Oulhaçi) est une personnalité historique éminente de l'histoire de la lutte du peuple algérien dans les durs moments de la conquête du pays. Ce grand chef militaire et homme politique était connu pour ses grandes qualités à la fois militaires et politiques. Il s'était distingué en tant que tel sur le terrain de la lutte et de la résistance. Sa forte personnalité a marqué la mémoire des habitants de Tlemcen, d'où la formule populaire : «Ahkam Al-Bouhmidi»'. Ce chef emblématique a forcé le respect de ses adversaires sur le terrain de la lutte. L'ami et lieutenant fidèle d'Abdelkader est aussi considéré comme l'un des rédacteurs du Traité de la Tafna (30 mai 1837) avec les caids Mohamed Bendeddouche, Hammadi Sekkal Voilà ce qu'un historien de la colonisation écrit à son propos : « Al- Bouhmidi est le type de chevalier maure (sid) tel que le représentent les légendes et les chroniques. Saladin devait avoir cette tournure princière, cette figure noble, cette taille élevée, le costume flottant de couleur claire enrichi de broderies d'or et d'armes splendides. Il s'était pris d'affection pour M. Cognord (officier de grade le plus élevé du groupe des prisonniers). On eût dit un des khalifes de Grenade ou de Cordoue entourant de soins le Cid vaincu. Les égards dont il usait avec notre chef, nous les lui rendions en dévouement et en respect' (In ' Les captifs de la Deïra d'Abdelkader''p. 78. Librairie Lefort 1864 (en ligne sur Gallica). Léon Roches (1809-1901) interprète en chef de l'armée d'Afrique notera de son côté : '' C'est un des meilleurs cavaliers de l'Algérie. Il manie le sabre et le fusil avec une adresse merveilleuse. Il a de remarquables qualités militaires, courageux, coup d'œil prompt, présence d'esprit, activité infatigable. C'est lui qui a dirigé toutes les attaques contre les Français dans la province d'Oran, à la Tafna et Sidi Yacoub Il est ardent et fidèle dans ses affections. Il aime par-dessus tout ses livres, ses chevaux et ses armes'' (Trente deux ans à travers l'Islam, Ed. Alzieu, 1904). Mohamed al-Bouhmidi est mort dans les geôles du roi, au Maroc où il s'était rendu chargé d'une ultime mission par l'Emir Abdelkader. Fait prisonnier, il ne rencontrera pas le roi Moulay Abderrahmane auquel il était chargé, à la tête de l'ambassade, de lui faire part de l'inquiétude de l'Emir suite au Traité de Tanger (10 septembre 1844) signé par le roi et reconnaissant l'Emir comme étant « un hors la loi », en Algérie et au Maroc engageant, par là, son pays aux côtés de la France coloniale. Avant de quitter l'Algérie se dirigeant vers Fès, Al-Bouhmidi laissa en souvenir, un poignant poème de séparation, présageant du sort qui allait même lui arriver. Ce poème est aussi, un témoignage fort de l'attachement de cette figure historique du récit national envers son pays qu'il défendit jusqu'à la mort. Nous rappellerons que la signature de ce traité ratifié par le roi Louis-Philippe, roi de France, a intervenu sitôt la défaite du sultan, après de la bataille d'Isly, le14 août 1844. Le pays, pour son progrès et son unité a besoin d'une mémoire collective bien conservée ni oublieuse, ni exclusiviste, ni sélective de ses grandes figures exposées à l'anonymat. La résistance du peuple algérien est une et indivisible. Elle constitue son bien précieux, son butin de guerre comme dira l'écrivain algérien Kateb Yacine, reflet de sa présence millénariste dans l'histoire, sa résistance, enfin l'affirmation de son identité historique propre. *Auteur