Enfin ! Pour la première fois, Ahmed Ouyahia s'est fait oublier jeudi au Parlement. Oui, il a réussi une sortie insoupçonnée, un véritable 'masterpiece» politique. Comment ? En faisant focaliser l'attention de ses adversaires politiques au Parlement non sur les 'non-dits» et les conséquences sociales très préjudiciables pour les Algériens de son recours 'à la planche à billets», mais sur ses attaques virulentes contre cette même opposition. Jeudi, il s'est lâché : Ahmed Ouyahia a attaqué l'opposition sur tous les fronts, y compris ceux qui ont osé parler d'un 'Etat voyou». 'On a été traité d'Etat mafieux, d'Etat voyou, alors aujourd'hui je vais répondre ', s'était-il insurgé. Et, dans la minute qui suivait, il a tiré sur tout ce qui bougeait dans le camp de l'opposition. Alors on a vu un Premier ministre, un Ahmed Ouyahia dans son véritable costume politique, celui de charmeur à certains moments, et de pourfendeur invétéré des opposants, quitte à aller chercher ses arguments là où cela ne fait pas honneur à une personnalité politique. Bref, en succombant comme un débutant aux attaques de l'opposition, il a fait passer à la trappe l'essentiel : expliquer aux représentants de ce peuple qu'il veut servir comment il compte faire pour éviter le catastrophisme promis par les experts. Ni comment l'Algérie, sans que le peuple n'y soit associé, a perdu des centaines de milliards de dollars en peu d'années, et que la situation aujourd'hui exige d'autres sacrifices que ce peuple va fatalement supporter. Le Premier ministre se moque-t-il alors des Algériens en ressassant des 'avancées sociales» à l'instar des cantines ou du transport scolaires comme étant des 'victoires» et des 'acquis», alors que sous d'autres cieux cela fait partie de la vie courante, des choses banales dans une société moderne. Enervé, désarçonné Ouyahia par l'opposition au sein de l'hémicycle ? Non, pas vraiment, il s'est amusé avec l'opposition, et en a profité pour détourner l'attention de cette même opposition sur l'essentiel : débattre sur ce plan d'action du gouvernement, qui promet des mesures d'austérité budgétaire pas forcément bonnes à entendre pour les Algériens. Parce que les efforts d'austérité qu'il demande ne s'adressent en fait qu'aux citoyens de seconde zone, à ceux qui n'ont pas de 'carte visa», ni de comptes en banque en Europe, encore moins d'un pied-à-terre à Paris ou Bruxelles. Il sait en réalité ce que toutes les mesures d'austérité, tout le poids de l'inflation, tous les espoirs ruinés d'une reprise de l'emploi, de la croissance et le recul du chômage contenues dans le volet économique de son plan d'action vont faire peser sur l'avenir immédiat des Algériens. Beaucoup ont dit qu'il cherche du temps, que le gouvernement Ouyahia est là pour préparer 2019, et que la probabilité d'un 5ème mandat n'est pas à écarter. Soit. Mais alors, pourquoi berner son monde, c'est-à-dire l'opposition et le peuple, si vraiment on est aussi sincère qu'on le prétend ? Jeudi dernier à l'Assemblée populaire, le gouvernement a montré ce qu'il veut : du temps et de l'argent. Le temps, il l'a puisqu'il a un délai de deux ans pour préparer la présidentielle de 2019, et donc mettre en place les mécanismes pour reconduire le même centre de décision, avec rejet immédiat des effets politiques indésirables, c'est-à-dire l'opposition. Quant à l'argent, qui manque par une persistante dépréciation des prix de l'or noir depuis 2014, il va le fabriquer chez lui, en toute discrétion. Alors, de cette manière, le gouvernement a réussi son coup : faire passer un impopulaire plan d'action qui va tuer le relatif confort social des Algériens, et le remplacer par une période de grandes incertitudes. En tirant à boulets rouges sur l'opposition, Ahmed Ouyahia a réussi à la détourner de sa principale préoccupation : dénoncer l'hypocrisie financière d'un plan d'action qui va accélérer l'émergence de tous les facteurs d'instabilité économique et politique.