Avec la planche à billets et la «finance islamique», le Premier ministre veut retarder l'échéance avant l'avènement du nouveau mirage algérien, le gaz de schiste. Ahmed Ouyahia a délimité son horizon économique. Pour sa première visite à l'intérieur du pays depuis sa nomination au poste de premier ministre, il voulu donner un symbole fort de ce que sera son action. Il s'est rendu, dimanche 1er octobre, à Arzew, symbole à la fois de la richesse et du mal du pays. Mais en fait de symboles, M. Ouyahia surtout a délivré des messages qui confirment le côté étriqué de ses perspectives économiques. A Arzew, le premier ministre a annoncé qu'il compte faire réviser la loi sur les hydrocarbures, tout comme il veut lancer l'exploitation du gaz de schiste. Après son choix affirmé pour le «financement non conventionnel» et ce qu'il implique comme décisions politiques et économiques, le projet Ouyahia se révèle dans toute son ampleur ; un projet d'une extrême indigence, avec un horizon si bas qu'il est en deçà de tout ce qui pouvait être attendu. En fait, ce que propose M. Ouyahia se résume à peu de choses, car basé sur un raisonnement rudimentaire. Pour lui, l'Algérie enregistre momentanément un défaut de liquidités ; on va donc imprimer de l'argent, le temps pour le pays de se lancer dans de nouveaux projets d'exploitation du gaz de schiste, et d'assurer ainsi des rentrées supplémentaires de devises. Dans son optique, l'avenir du pays ne peut être conçu que dans les hydrocarbures. On retrouve la marque de la bureaucratie d'Etat traditionnelle, qui a empêché la réflexion sur l'économie algérienne d'avancer. Pas de comptes à rendre Si, dans l'immédiat, la loi ne permet pas à M. Ouyahia d'imprimer des billets, il a recours à une solution très simple : il change la loi. Il élimine ainsi la Banque Centrale, et il contourne tous les contre-pouvoirs, déjà largement défaillants. Et si on n'arrive pas à produire assez de pétrole, on change la loi, en vue de la rendre suffisamment attrayante pour attirer des entreprises étrangères en mesure d'augmenter la production. M. Ouyahia ne supporte pas les contraintes, ni les contre-pouvoirs. Il aime disposer de tous les leviers : il ne conçoit la gestion qu'en faisant table rase de tout ce qui risque de le gêner. Il gère comme un wali à l'ancienne gère dans sa wilaya : il décide tout, sans être comptable de rien. C'est mieux que ce que peut espérer tout autocrate : il gère mais il n'est pas responsable, car il ne fait qu'appliquer le programme du président de la république. Imperméable à l'innovation Dans la démarche de M. Ouyahia, il y a absence presque totale de tout le discours novateur qu'on entend dans les milieux spécialisés, et même chez quelques portes-plumes du pouvoir. Un Abderrahmane Benkhalfa, malgré son passage chaotique au ministère des finances, parle de diversification, d'innovation, de modernisation de l'économie, d'intégration dans l'économie mondiale, etc. Il évoquait souvent la transition énergétique et l'économie numérique. M. Ouyahia ignore ces concepts. Né et ayant grandi dans le dirigisme, il ne conçoit d'économie que contrôlée. Y compris quand il parle d'entreprise privée. C'est lui qui définit les secteurs d'activité, distribue les crédits et le foncier industriel, organise les avantages fiscaux, mais tout cela doit se passer sous l'œil vigilant du wali, du ministre, du premier ministre en dernier ressort. M. Ouyahia ne sent pas non plus astreint à respecter des engagements fondamentaux de ses prédécesseurs. La trajectoire budgétaire, une des rares idées positives de ces dernières années, est balayée d'un revers de la main. Le premier ministre l'évacue avec d'autant plus de facilité qu'il ne veut pas de contrainte alors que le pays s'engage dans une échéance politique, la présidentielle de 2019, qui impose une autre attitude. Retarder l'échéance Que reste-t-il, au final du « plan d'action » de M. Ouyahia? Une gestion approximative, au jour le jour, s'appuyant sur des expédients plutôt que sur une démarche de long terme. Comme ses prédécesseurs, M. Ouyahia s'appuie sur une décision facile à appliquer-la planche à billets- en espérant que le prix du pétrole se redresse. Tout ce qui est complexe, qui nécessite de la concertation, de l'action politique, avec une ingénierie complexe, est mis de côté. Mais comme ses prédécesseurs, M. Ouyahia n'ira pas loin. Il peut, certes, retarder l'échéance, le gouvernement disposant encore de leviers pour atténuer les effets de l'inflation à court terme. Mais sur le long terme, les choses ne feront que s'aggraver. L'économie algérienne a besoin d'une multitude de mesures. M. Ouyahia n'en mettra en œuvre que deux ou trois. Elles seront sans effet. Miser l'avenir du pays sur « la conformité fiscale » ou sur l'emprunt obligataire a fait perdre au pays trois années. Croire aujourd'hui que la « finance islamique » et la planche à billets sont un recours relève du même aveuglement.