«La lutte pour l'indépendance, c'est l'épopée ! L'indépendance acquise, c'est la tragédie» Aimé Césaire (Discours sur le colonialisme) «Mais pourquoi t'obstines-tu à partir. A traverser les mers en nous laissant. Tu t'aventures à mettre en péril ta précieuse vie. Pour t'exiler, en renonçant à nous. Ce voyage n'est pas légal. Et sa fin peut être malheureuse. L'embarcation est petite et en bois pourri. Et tu risques de te noyer sans pouvoir nous revenir». Merzak Ouabed (Poèmes, les raisons de la colère) Un excellent poème qui, mieux que mille discours, nous décrit la tragédie de ceux qui risquent leur vie pour une vie meilleure. Triste nouvelle, le feuilleton des Harraga est de retour ! Un mal que l'on pensait avoir conjuré reparaît de plus belle. Comme lu sur le journal Reporters du 18 novembre « Les unités des garde-côtes des Forces navales de l'Armée nationale populaire (ANP) ont procédé, durant les dernières 48 heures, au sauvetage de 286 candidats à l'émigration clandestine à bord d'embarcations de fortune, « A cet effet, en dépit de l'ampleur prise par les tentatives de quitter le territoire national de manière illégale, les unités du Service national de garde-côtes des Forces navales demeurent vigilantes et mobilisées ». En fait, et pour être clair, le phénomène des harraga n'a jamais cessé. Toutes ces dernières années, il y a toujours eu des départs mais le nombre était faible. Les médias algériens font état, aussi, d'une augmentation du nombre de décès par suicide, d'un accroissement important du nombre de toxicomanes, des émeutes qui éclatent ici ou là et enfin, d'un phénomène nouveau qui prend de plus en plus d'ampleur dans le pays, l'émigration clandestine ou « harga ». L'Algérie traverse, depuis quelques années, une grave crise économique et sociale. Tous les ingrédients pour l'émergence de la violence sociale sont réunis. Suicide, toxicomanie, émigration clandestine ( Harga), voire le maquis, sont des passages à l'acte qui témoignent du désespoir d'une jeunesse en panne d'espérance. Harraga : le terrible calvaire des parents Dans une contribution récente, Le Soir d'Algérie rapporte le désespoir de parents affolés par le départ de leur fils sans avertir. Cette détermination à bas bruit s'est faite à l'insu des parents. Nous lisons : Le phénomène des harraga a pris des proportions telles qu'il se transforme en véritable drame au sein de la société. Pas de statistiques ni de chiffres officiels. La vérité est partout, dans ces témoignages poignants de nos voisins, amis, connaissances. Face à des enfants qu'ils croyaient bien connaître jusqu'au jour où ils découvrent un lit déserté, des vêtements disparus, un fils et parfois même une fille qui ne rentre pas. Qui ne rentrera plus. Jusqu'au jour où le téléphone sonne. «Ça, c'est dans le meilleur des cas, celui où votre enfant, la chair de votre chair, vous annonce qu'il est enfin sorti de la mer». Le 20 octobre dernier, le père reçoit un coup de fil. «L'appel venait de l'étranger. Au bout du fil, la voix de mon fils. Je n'ai pas hurlé, les mots ne sortaient pas, je lui ai juste demandé s'il allait bien. Il m'a répondu qu'il était sorti de la mer. Pour moi, c'était le plus important.» Puis il lui fait le récit de ses péripéties. Le harrag lui apprend que l'embarcation à bord de laquelle il avait pris la fuite avait démarré vers les coups de minuit. Les vents s'annonçaient à ce moment favorables, mais en haute mer, le temps change. Une tempête renverse la barque, mais le destin veut qu'un avion les repère. Les gardes-côtes espagnols dépêchent une équipe de sauvetage. Les naufragés sont transférés vers un centre spécialement mis en place pour accueillir l'immigration clandestine. «Le propriétaire de l'embarcation réclamait 700 euros par personne, car il fallait acheter deux moteurs et des bidons d'essence ( ).» (1) Qu'en est-il de l'accueil des migrants en Algérie ? L'Algérie n'est pas seule dans cette malvie de la jeunesse. Elle accueille à la fois des migrants croyant trouver l'opulence en Algérie, mais dans le même temps elle perd ses jeunes qui risquent leur vie à la recherche d'un mieux être ailleurs pensant que leur avenir est derrière eux s'ils restent au pays. A des degrés divers, la jeunesse africaine qui arrive à traverser le désert- trouve en Algérie des conditions de travail autrement plus intéressantes que la situation qu'elle vit dans les pays du sahel. Il fut une époque où l'Algérie était seulement une terre de transit, elle est devenue au fil des années une terre d'accueil pour beaucoup de migrants. On se souvient du tollé soulevé par l'opposition et dans le réseaux sociaux par la déclaration du directeur de cabinet à la présidence relayée par le ministre des Affaires étrangères, à savoir que l'Algérie remplit ses obligations dans un cadre légal. Elle ne laisse pas chez elle des individus en situation irrégulière qui sont reconduits d'une façon digne dans leurs pays. La position officielle algérienne est connue : en l'absence de contrat de travail, le migrant n'a pas vocation à rester en Algérie et des voyages retour sont régulièrement organisés par l'Algérie qui en fonction de ses moyens et dans la dignité du migrant se voit obligé de raccompagner le migrant dans son pays d'origine. Il faut ajouter que les migrants qui arrivent à rester travaillent généralement dans l'informel et ceux qui les emploient ne respectent pas la qualité et la quantité du travail réalisé. En sous-payant les migrants, c'est une forme d'exploitation qui a lieu. Il est vrai qu'il y a une immense détresse mais qu'il ne faille pas parler d'invasion, de transmission de maladies ou d'insécurité. Pour Yacine Temlali «Pas plus que pour les réfugiés, l'Algérie ne semble être un éden hospitalier pour d'autres catégories de migrants. Selon le Recensement général de la population et de l'habitat de 2008, les étrangers établis légalement sur son sol ne dépassaient pas 325.000 personnes, auxquelloes il faudrait ajouter, selon un spécialiste des migrations, Mohamed Saïb Musette, quelque 25.000 immigrants irréguliers, soit en tout et pour tout, moins de 1% de la population de l'époque » (2). Yassin Temlali a raison, nous n'avons pas de leçon à donner aux autres. Les Algériens, notamment des villes deviennent par la force des choses indifférents à la détresse des autres. C'est peut-être un signe d'ensauvagement que nous avons emprunté à l'Occident. En Occident, quand un ressortissant meurt c'est le branle-bas de combat. Ce n'est pas demain que l'on verra un G7, un G8 ou un G20 pour se pencher sur ce problème planétaire. Il s'agit de damnés de la Terre. Le chauvinisme de la prospérité en Occident qui a bâti son opulence sur la curée des anciennes colonies, est une réalité. Ainsi va le monde, nous devons en prendre notre parti. A suivre... * Professeur - Ecole Polytechnique Alger Notes : 1.http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2017/11/18/article.php?sid=220087&cid=2 2.YassinTemlalihttp://maghrebemergent.com /contributions/idees/item/ 37260-un-article-d-algerie-news-et-des-fausses-evidences-sur-les-migrations-subsahariennes-opinion.html