Ahmed Ouyahia a remplacé Abdelmalek Sellal, et Djamel Ould Abbès a remplacé Amar Saâdani. Pour le reste, l'Algérie fonctionne de la même manière qu'à la veille du quatrième mandat, avec les mêmes acteurs et les mêmes polémiques. Ahmed Ouyahia avait été évincé de la direction de son propre parti, le RND, une année avant l'élection présidentielle de 2014. Poussé vers la sortie de manière peu élégante, il avait, tout comme M. Abdelaziz Belkhadem, effectué un retour remarqué, deux mois avant le scrutin, pour déclarer son soutien à un quatrième mandat du Président Abdelaziz Bouteflika. Depuis, rentré dans les bonnes grâces du pouvoir, il a été réintégré dans l'équipe rapprochée du cercle présidentiel, avant de prendre le gouvernement. Cinq ans après cette fameuse disgrâce de M. Ouyahia de 2013, la même histoire est vendue aux Algériens. Avec des personnages interchangeables, mais le même décor, le même habillage et, peut-être, le même dénouement. M. Ouyahia est poussé vers la sortie, dit-on. Djamel Ould-Abbès, reprenant le rôle joué par Amar Saadani, il y a cinq ans, lance une action pour « déstabiliser » le Premier ministre. Il critique les choix économiques de M. Ouyahia, émet des doutes sur la charte du partenariat public-privé, met en place une tripartite parallèle, et exige que son parti soit associé aux décisions concernant l'avenir du pays. Le directeur de la maison FLN soupçonnerait M. Ouyahia d'avoir des ambitions présidentielles, et de préparer le terrain à sa propre candidature. Mais le Premier ministre dément. Il ne sera jamais candidat contre Abdelaziz Bouteflika, assure-t-il. Serait-on, dès lors, parti pour un scénario similaire à celui de 2014 ? Un 4ème mandat inutile En fait, la réponse elle-même présente peu d'intérêt. Que M. Ouyahia fasse le lièvre, qu'il joue un simple rôle pour animer ce qui sert de vie politique, ou qu'il soit Le Candidat du pouvoir; que M. Ould Abbès fasse de la surenchère sur le thème de la fidélité et du dévouement au chef de l'Etat ; que la prochaine campagne du candidat du pouvoir soit dirigée par M. Abdelmalek Sellal, Abdelaziz Belkhadem ou M. Ouyahia lui-même ; que le Général Gaïd Salah continue de sillonner l'Algérie en répétant que l'armée ne se mêle pas de politique, tout ceci ne change guère la donne politique dans le pays. Le plus important est ailleurs. Il est dans ce constat aussi simple que cruel : le quatrième mandat n'a pas permis au pays d'avancer. Il n'a pas permis de changer la donne. La preuve la plus évidente en est cette éventualité qui plane encore sur le pays, celle d'un nouveau mandat en faveur du Président Abdelaziz Bouteflika. Un surplace meurtrier Cela veut dire que l'Algérie a tourné en rond pendant cinq ans. En Chine, cinq années, c'est un PIB qui augmente de 50%. Au Brésil, sous le Président Lula, cinq ans, c'est le temps qu'il a fallu pour sortir 30 millions de personnes de la pauvreté. En Algérie, le temps d'un mandat peut être évalué sous deux angles différents. Il y a d'abord ce qui aurait pu émerger, mais dont on n'a rien vu. Aucune idée politique innovante n'est apparue. Le pouvoir est resté, totalement, sclérosé, alors que l'opposition n'a pas réussi à faire avancer les choses. Sur le terrain économique, alors que le pays est passé par deux phases différentes -aisance puis difficultés financières-, aucune proposition nouvelle ne s'est imposée. La gestion des affaires du pays s'est enfoncée dans l'improvisation et l'approximation. La décision économique reste dominée par deux règles essentielles : assurer la survie du pouvoir, et servir les cercles qui le constituent. Ceci ne signifie pas, seulement, stagnation, mais recul. Car entre temps, -et c'est là le plus grave-, les institutions ont plongé dans l'informel. L'illustration la plus éclatante en a été le sort burlesque du gouvernement Tebboune : celui-ci n'est pas tombé à la suite d'une fronde du Parlement ou d'un désaccord entre les partis représentés au sein de l'exécutif, mais à cause d'une levée de boucliers de milieux sans rapport avec les institutions constitutionnelles. La vie politique n'est plus animée par des ides, des débats, des propositions et des contre-propositions. Elle est faite d'hypothèses sur l'état de santé de M. Bouteflika, de déclarations loufoques de M. Ould Abbès, de répliques supposées cinglantes de M. Ouyahia, et d'interventions d'autres hommes dont la place naturelle est dans les tribunaux. Sortir du cercle vicieux C'est dans cette ambiance délétère que se prépare la présidentielle de 2019. Il serait, dès lors, illusoire de croire que les mêmes causes qui prédominaient, en 2014, puissent donner aujourd'hui sur des résultats différents. Les ingrédients en place, en 2018, similaires que ceux de 2014, ne peuvent déboucher que sur une issue aussi absurde que le fut le quatrième mandat. D'où cet impératif pour le pays : envisager collectivement un moyen de sortie de cet engrenage qui tourne à vide. Travailler ensemble pour trouver une issue, qui serait salutaire, y compris pour le pouvoir. Tous les thèmes dominants aujourd'hui -privatisations, cinquième mandat, candidature de M. Ouyahia, divergences FLN-RND-, sont au mieux secondaires, au pire de la diversion. Ils occultent les questions auxquelles l'Algérie a besoin de répondre : comment proposer aux Algériens un autre cap, d'autres ambitions, d'autres débats. Mais là encore, la confusion règne. Les défis sont si importants qu'il serait, tout aussi, illusoire de vouloir les relever tous. Il ne s'agit, donc, pas de mettre en place des montages sophistiqués, complexes, susceptibles de susciter de nouvelles divergences ; il s'agit plutôt de trouver le nœud qui permettrait de sortir de ce cycle où le pays tourne à vide. De mettre le pays en mouvement. Oublier Ouyahia, Ould Abbès, le PPP, et élaborer un nouvel agenda pour l'Algérie. Comment, avec qui, quand ? C'est le vrai débat de 2018.