Quel que soit le jeu des appareils du pouvoir et des états-majors des partis en lice pour l'élection présidentielle, la responsabilité du «citoyen électeur» est entièrement engagée dans le choix du destin du pays. Dans l'équation électorale que doit résoudre le pays, l'électeur est sans conteste la variable ou l'inconnue qui va déterminer le résultat. Du coup, aux inquiétudes, stress et angoisse face à la participation-présence ou non de Abdelaziz Bouteflika, de celle de ténors politiques de l'opposition ou non, de «lièvres» de tel ou tel clan du pouvoir, de vieux ou jeunes candidats... s'ajoutent celles de «l'Electeur», cet inconnu qui a toujours surpris en revendiquant un mode de vie et de gouvernance idéale, fait de nouveautés et de libertés tout en votant différemment, souvent contrairement à ses propres aspirations, se surprenant encore une fois lui-même. Le peuple manifeste pour plus de justice et de liberté, dénonce la «Hogra» et la corruption, vilipende les gestionnaires de ce pays et les partis au pouvoir, puis se divise entre ceux qui votent et ceux qui boycottent et se retrouve avec les mêmes au pouvoir. Puis, dès le lendemain de l'élection, le peuple redevient critique et «anti-pouvoir» et «anti-système». C'est le malheureux constat depuis que le peuple a le choix de choisir ses élus. Il a été une fois, y a pas si longtemps que ça, où le peuple s'est fait violence plus que d'habitude en votant massivement contre ses propres libertés et son émancipation au nom de nouveaux prophètes, espérant le paradis en Algérie avant de découvrir l'enfer. On a beau disserter sur la fraude, la triche de l'administration, l'achat des voix, parfois la menace et la peur etc., il reste qu'à la fin «l'électeur» se surprend à chaque élection. Par conséquent est-il honnête de dégager de toute responsabilité l'électeur dans chaque élection en invoquant les mêmes arguments : triche, fraude, administration ? Si ces arguments ne sont pas faux, ils ne peuvent à eux seuls justifier les déceptions et les regrets au lendemain de chaque vote. Logiquement, un peuple électeur qui estime que son vote a été détourné, volé ou ignoré manifeste son refus du résultat, se révolte s'il faut. Les exemples sont légion autour de nous: Congo démocratique, Venezuela, Togo... Mais chez nous tout le monde dans la rue, les cafés et les chaumières jure que les élections ne sont jamais honnêtes, montre sa grande déception et puis vaque à ses habitudes faites d'ennui et de frustrations. D'ailleurs chez nous, le peuple, ses élites et ses intellectuels affirment avec certitude que la prochaine élection présidentielle est jouée d'avance, que Bouteflika s'il se présente y compris par procuration, la remportera haut la main. Peu importe la manière, il gagnera. Le destin électoral du pays est subi comme une fatalité depuis le début. A l'annonce de chaque élection, en particulier une présidentielle, le débat sur la responsabilité de l'électeur est oublié, passé sous silence alors qu'il est le premier concerné. Jamais le peuple ne s'est regardé dans les yeux au lendemain d'une élection capitale qu'il a critiquée ou moquée pour se dire : qu'ai-je fait ? Et surtout, «puisque l'élection me paraît truquée : que dois-je faire pour demander justice ?» Cette façon de rendre pour seul responsable les élus de manière générale, le pouvoir ou encore le «système», ce concept justificatif, passe-partout qui évacue la responsabilité du groupe et de l'individu est fatigant à la fin. C'est qui le système? Le peuple est-il hors du système, non concerné ? « Un système est un ensemble ordonné d'éléments liés les uns aux autres et qui interagissent entre eux » nous dit le dictionnaire. Par conséquent « l'électeur» ne peut fuir sa responsabilité en invoquant la responsabilité du «système» auquel il appartient, dans lequel il vit et agit, duquel il vit et en décide quel que soit sa place dans le dit système. Bref, l'électeur est aussi responsable du système que les élus qu'il dénonce en permanence. Avec ou sans la participation - présence ou non de Abdelaziz Bouteflika à l'élection du 18 avril prochain, les Algériens s'interrogent sur le nombre des «autres» candidats, sur leur sincérité, leurs compétences, leur foi et leurs promesses. Interrogation légitime, naturelle et fondée. A l'inverse, le peuple, électeur de droit, ne s'interroge pas sur lui-même. D'abord le peuple votera-t-il en entier, sans oublier un seul des siens ? Dans toute élection les candidats se font connaître à travers leurs programmes, promesses et engagements avant l'élection. L'électeur est libre de choisir ses élus. Il en est «comptable» d'une certaine manière. S'il estime que l'élu ou les élus ont failli à leurs engagements et missions, il a toute la liberté de les révoquer à la prochaine élection. Chez nous ce sont pratiquement les mêmes au pouvoir depuis le commencement de notre libération de la nuit coloniale. Nous les critiquons, dénonçons, méprisons même et ils sont toujours là par la magie de l'urne. Donc, par la magie du geste électoral de chacun de nous et chacun de nous jure que ce n'est pas lui. Qui se cache derrière tant de trahisons et de vols de la volonté populaire ? Quel qu'il soit, ce savant sorcier qui nous berne depuis le début, ne peut nous ensorceler tous à ce point. Etrange ambiance que cette campagne électorale que nous vivons : «nous voulons le changement dans la continuité» affirment les détenteurs actuels du pouvoir. Slogan oxymore comme seul un discours politique méprisant pour la raison peut en inventer : on ne peut changer en restant le même. Soit on change de chemin, soit on continue dans un autre chemin. Faire les deux c'est s'écarteler et se perdre, c'est un délire ubuesque. Nous voilà avertis en tant qu'électeurs. Le 19 avril au matin, il est inutile de ressortir les mêmes plaintes, cris ou pleurs au vu du résultat du vote pour critiquer le «pouvoir et le système» jusqu'à la prochaine élection. Tout se passe dans le pays comme si un mystérieux magicien concocte une potion enivrante qu'il propage dans l'air que nous respirons et qui nous conditionne comme des automates avant chaque élection. Nous ne sommes donc point responsables de nos élus et de ce qui nous arrive. Une potion faite de léthargie, de rêves et de douces promesses qui transforme le pays en un immense ennui national. «On ne ment jamais tant qu'avant les élections, pendant la guerre et après la chasse» a dit un jour Gorges Clemenceau, homme politique français d'envergure, pour secouer son peuple de la médiocrité des politiques de son époque. Et c'est partout ainsi paraît-il. Mais Charles Baudelaire, le poète, a interpellé ses lecteurs dans cette magnifique strophe qui semble vraie aujourd'hui encore : « C'est l'ennui, l'œil chargé d'un pleur involontaire, il rêve d'échafauds, en fumant sont houka, tu le connais ELECTEUR ( lecteur), ce monstre délicat, hypocrite Electeur (lecteur), mon semblable, mon frère».