C'est sous un soleil qui s'est découvert, pour une première fois, depuis quelques jours, que prend lieu le 7ème sit-in de la communauté algérienne à New York, qui insiste, pour sa part aussi, sur le départ du pouvoir actuel en Algérie. «Non à la dictature militaire,» affichait une pancarte, «La dignité du citoyen est une ligne rouge,» avertit une autre. Femmes, hommes et enfants s'entassent devant une statue de George Washington, dans le parc Union Square pour cette manifestation du dimanche 7 avril. Des drapeaux algériens et berbères, brandis haut, s'agitent sous un vent timide qui ne cesse de les ondoyer. Des youyous fusent ça et là, émis par le grand nombre de femmes accompagnant enfants fils et petits-enfants. Bien qu'elle s'avère moins imposante que celles de Montréal ou de Paris, cette autre Silmiya' d'Outre-Atlantique réunit un bon nombre d'Algériens résidant aux Etats-Unis depuis la fin-février. Des centaines de protestataires tiennent à y prendre part, chaque dimanche après-midi, emboîtant le pas aux marches colossales qui secouent l'Algérie depuis plusieurs vendredis. D'aucuns font des déplacements du New Jersey ou même de la Pennsylvanie, entre autres. Habitant à New Jersey depuis huit ans, Rachid, l'un des initiateurs de la série des manifestations, s'exclame: «Notre but, c'est de nous unir afin de pouvoir faire entendre notre voix et d'exprimer notre désarroi quant à ce qui se passe en Algérie.» Dans une ambiance rare, même à Alger, l'on entend une confusion de tout accent. L'air qu'impose cette démonstration, première sans Bouteflika, ne faillit nullement aux espoirs dont se leste cette communauté, quand bien même éloignée. Ce sont moins des clameurs de colère que des cris de joie et de victoire qu'émettent les protestataires dont la plupart se réjouissent, encore, d'un jeune âge. Leur tumulte varie entre des chants de Kassaman et des «Silmiya, Silmiya» tant réitérées, mais détonne aussitôt vers des réclamations de faire «chuter le système» ou de «libérer l'Algérie». Dans un silence tranchant, la foule qui intrigue les passants reflue subitement. Un cercle s'élargit, et l'on distingue péniblement l'entrée en scène théâtrale de trois figurants, vêtis tous en uniformes pénitenciers et masqués en Ouyahia, Haddad et Said Bouteflika. Enchaînés et ligotés en queue, ils défilent sous un éclat de rire et de huées impitoyables. Un message on ne peut plus clair. Le mouvement «yetnahaw gaà» («qu'on les retire tous») est autant de mise en Algérie qu'il l'est pour cette diaspora. L'évincement de Bouteflika, ayant démissionné de son poste de président de la République, le 2 avril, ne serait donc qu'un «premier round». L'exil comme prétexte profond Le choix du lieu n'est pas anodin. C'est dans ce même espace que les travailleurs américains ont aussi réclamé leur droit de s'exprimer et de s'assembler à la fin du 19ème siècle, donnant le jour à la Fête du Travail américaine, un 5 septembre 1882. Le square deviendra ensuite un monument pour l'activisme des droits civiques et des libertés, à New York. De même qu'en Algérie, les premiers appels pour se mobiliser dans la ville et ailleurs se sont faits à travers des appels lancés dans les réseaux sociaux. Aux Etats-Unis, d'autres évènements ont eu pour villes de mobilisation San Francisco et la Philadelphie. Photographe indépendante, Suzanne Brisk avoue qu'il est «merveilleux de voir les manifestants célébrer leur pays». Venue pour documenter un autre sit-in en ces mêmes lieux pour la libération de l'ex-Président Lula, au Brésil, elle avoue être «attirée par ces drapeaux» dont elle ne connaissait «pas grand-chose». Elle évoque, également, le «courage» dont font preuve ces manifestants, «dans un temps où il n'y a pas vraiment de libre parole, sans crainte pour les musulmans». Née aux Etats-Unis, Sarah, 19 ans, se dit fière de pouvoir proclamer son identité algérienne, dans les protestations. «Manifester, c'est aussi exprimer son algérianité,» estime l'étudiante à l'Université de New York (NYU), qui s'exprime aussi sur la «douleur de l'entre-deux» que subissent souvent les communautés immigrantes. Souvent lésée par des propos d'hommes politiques algériens (ceux d'Ouyahia, en l'occurrence, qui déclara en février passé que «90 % des harraga vont récolter les oranges ou les tomates», ou d'autres qui estimaient qu'à l'étranger des Algériens «meurent de froid»), la diaspora s'avère intéressée par l'actualité algérienne, en ces temps de vicissitudes plus qu'elle ne montre d'intérêts, parfois, envers ce qui se passe autour d'elle. Sa mobilisation relève autant d'une crainte d'une double aliénation que de la distance qui exacerbe son désarroi quant à l'Algérie (natale, pour la majorité). Pour Fatiha, ancienne enseignante à l'Université de Blida, il s'agit d'une «déchirure profonde» que d'avoir raté les marches d'Alger. Selon Djelloul, participant aux manifestations de New York, depuis plusieurs semaines, il demeure douloureux que de ne pas pouvoir prendre part au Hirak, qui se déroule en Algérie. Ilyes, se tenant à ses côtés, acquiesce amèrement: le jeune de 25 ans, espère «un changement radical», en Algérie, pour «un éventuel retour». «De quoi nous ont-ils vraiment devancés ?» questionne-t-il en référant aux Etats-Unis. «Je regrette d'être loin de ma famille et de mes amis,» ajoute-t-il. «Si les choses seraient meilleurs en Algérie, nous y reviendront tous.» Loin d'un rêve américain, par trop stéréotypé, ces jeunes considèrent qu'il est inévitable de revenir en Algérie. Ils aspirent à un avenir opportun où, selon Djelloul, «le citoyen prendra part dans la vie politique comme dans la vie sociale», et où «l'on encouragerait les initiatives individuelle et collective, au lieu d'espérer tout de l'Etat». Seize heures passées, le vacarme rechute. Des volontaires recueillent des drapeaux, tandis que d'autres distribuent le restant des mhadjeb et baghrir. Amara, l'un des organisateurs, révèle qu'ils s'apprêtent à préparer une marche. «Si la loi nous le permet,» sourit-il. Les manifestants s'échangent des saluts gais avant de se disperser. «A dimanche prochain,» peut-on les entendre répéter.