Raté. Une fois encore. Nous avions une occasion unique. Après presque quarante ans de somnolence à téter le sein d'une richesse que nous n'avons rien fait pour la découvrir. Les uns pompant plus de lait que d'autres. Pour en arriver là. Là c'est ce moment unique, un rendez-vous unique même préfabriqué où se rencontre un violent désir de changer le cours des choses et une disponibilité militante à mériter de la vie. Un peu pompeusement, à «mériter» de ses ancêtres. Et nous allons, une fois encore, passer à côté. Une fois encore, parce que ce n'est pas la première que nous nous sommes attaqués à de hautes cimes. L'histoire s'est construite sur des révoltes, des jacqueries, des rebellions plus ou moins organisées, autant de défaites dont la somme fut le triomphe du 1er Novembre. L'ennemi était coriace. Les échecs amers. Où en sommes-nous ? Pour Mohcine Belabbas, le président du RCD, le pays «doit rompre avec le cycle des échecs» et «renouer avec les victoires». Il les résumait ainsi lors de l'ouverture de la convention des Forces de l'Alternative démocratique du 9 septembre dernier par cinq paliers : contre la hogra', le chômage, la corruption, les injustices, le sous-développement économique et social. Cela fut tenté. Ces impératifs furent blindés, si l'on peut dire, d'abord par la Charte d'Alger en 1964 puis par la Charte nationale de 1976 qui, toutes deux, énonçaient des principes humains et, dans un certain sens, révolutionnaires ! Alors ? Que s'est-il donc passé ? Notre goût immodéré de «l'inachevé». L'inconstance. L'absence de colonne vertébrale. De culture politique et de culture tout court. Au lendemain de l'Indépendance, ce sont les paysans sans terre et les travailleurs, orphelins de pouvoir, qui ont repris le flambeau de la gestion de la terre et les outils de production pour démentir ceux qui nous prédisaient un effondrement total. Curieusement, ce système pas plus chez nous qu'en Yougoslavie - n'a engendré qu'un modèle de gestion. Ajustable, il fut tout simplement abandonné. Comme l'image du milliardaire pétrodollars qui change de voiture sous prétexte qu'il n'y a plus d'essence dans celle qu'il conduisait. Nous lui avons donc tourné le dos. Carrément. Sans doute exigeait-il une haute conscience politique des bénéficiaires et, surtout, des dirigeants. Dès les années 1962, s'imposa la libération de la terre. Dans la même veine, la nationalisation de l'outil de tout développement. L'argent et les Banques. Naissance du dinar. Devenu aujourd'hui terne, craintif, balloté dans tous les sens. Du papier en somme. Ce dinar qui aurait pu s'appuyer sur les nationalisations des hydrocarbures. Et fleurir. Richesse divine et malédiction des hommes. Qui attend que ses cours soient décidés à des milliers de kilomètres de là. Un atout qui a pourtant permis une scolarisation sans pareille dans les annales des peuples, sauf Cuba. Mais là, avec des programmes sans ambition, indigent, là encore, sans support culturel, politique et philosophique. Débâcle annoncée. De l'inachevé encore. En même temps que la médecine gratuite. Même sort ! Tout cela sous l'habillage des révolutions agraire, industrielle (pauvre El Hadjar et nos ambitions de produire des centaines de milliers de tonnes d'acier, pilier de toute industrie) et culturelle. Toutes, inachevées. Abandonnées sur le bas-côté de la route. Des leçons, jamais apprises, parce jamais étudiées. Coureur de steppes, au mieux. Coureur de marathon, pas à ce jour. En présentant le budget du ministère de la Culture britannique, en pleine guerre mondiale, le ministre, devant les dépenses de l'Etat, nécessaires pour affronter le nazisme, avait jugé bon d'en présenter un revu à la baisse. Ce qui fit bondir de sa chaise le Premier ministre, Winston Churchill pour ne pas le nommer, pour sermonner l'auteur en ces termes : «réduire le budget de la Culture ? Mais pourquoi croyez-vous que nous nous battons», lui demanda-t-il ? Pour la pérennité d'une civilisation bourgeoise, certes, mais une civilisation tout de même ! Pourquoi, de notre côté, nous nous battons ? Pourquoi les manifestants battent-ils le pavé depuis tant de semaines ? Pour «Nahihoum gaâ», dit-on, en guise de réponse. Le vide nous est proposé. Là on subodore la manipulation. Détruire le pays. A ce vide du possible, la sagesse voulait que l'on profite de cet espace temporel pour réfléchir sur nous-mêmes, sur ce que nous voulons faire de ce pays. Sur les pans qu'il faut redresser. D'abord à chaud puis, le temps aidant, à froid. Pour les décennies qui vont suivre. Il est un pays dans ce monde, multimillénaire, puissance parmi les puissances qui, tous les cinquante ans, se remet en cause comme l'enseignait Confucius. Donner, de nouvelles définitions aux mots pour qu'ils se comprennent bien entre eux et éviter les quiproquos. Une marche qui l'on aurait pu suivre. Nous redéfinir. Je connais des parents, des sages qui, après avoir mené l'éducation de leurs enfants, ont accepté de les écouter, à leur tour, pour leur déchiffrer leur monde. Nous vivons donc une occasion rêvée. La Constitution aurait été la bienvenue pour fixer les buts de cette «civilisation» que les archéologues de l'histoire pourraient nous aider à exhumer, à sceller. Pour l'inscrire dans le temps présent et futur. Sans se presser. D'autant qu'au vu de nos expériences passées avec les textes, prétendument fondamentaux, et ce que nous en avons fait, ou plutôt, nous, témoins, avons observé de ce qui en a était fait, il n'y a pas lieu, pour la beauté du texte, de la devanture de l'Etat, d'en faire une priorité. Il n'y a pas le feu en la demeure. La Grande-Bretagne s'en est bien passée, à ce jour, depuis deux mille ans. Et elle ne s'en porte pas plus mal qu'un autre Etat. «Le Royaume-Uni n'a pas de Constitution au sens formel du terme.» En peu de mots, le fondement de l'Etat est un «ensemble de textes concernant «l'organisation et le fonctionnement des institutions politiques et le fonctionnement des institutions politiques, ainsi que les «droits», c'est-à-dire les libertés ou les privilèges des individus ou des groupes de personnes». Et ils font avec ! L'armée a fait une entrée remarquable, il faut lui reconnaître, à découvert, dans la scène politique du pays pour dénouer les nœuds. Proposer des solutions. Le rêve, achevé, cette fois, réalisé, serait une passation dans l'ordre, suivie d'une sortie réussie.