NEW DELHI - L'Union européenne a transformé radicalement et pour le mieux sa politique économique en adoptant un plan de relance post-pandémique de 1 800 milliards d'euros. Plus de la moitié de ce plan, qui comprend le budget à long terme de l'UE et le Fonds de relance Next Generation EU de 750 milliards d'euros, est destiné notamment à des dépenses publiques tournées vers l'avenir. Ce plan est à la fois audacieux et impressionnant. Il inclut le programme Horizon Europe pour soutenir la recherche et l'innovation, le Fonds pour une transition juste et le programme Digital Europe pour soutenir respectivement les transitions numérique et climatique. Il comportera également un nouveau programme de santé, l'UE pour la santé, et une facilité pour la reprise et la résilience destinée à décaisser l'essentiel du Fonds Next Generation EU. Enfin, une somme importante sera allouée à la protection sociale, avec notamment une aide destinée aux travailleurs et aux chômeurs. Un tel changement de politique est bienvenu, car il jette les bases d'une union économique plus viable. Mais fondamentalement, les dirigeants européens (à l'image de leurs homologues américains) ne le comprennent toujours pas. Tout comme les mesures de relance annoncées par le nouveau gouvernement américain visent essentiellement l'économie américaine, le plan de relance de l'UE exprime la solidarité au sein de l'Europe, mais ne se préoccupe guère du reste du monde. Le plan de relance d'envergure initié par l'UE représente de toute évidence un pas important vers l'union budgétaire, sans laquelle la zone euro restera fragile, instable et sujette aux crises. Cette intégration budgétaire avait aussi paru essentielle lors des crises de la dette auxquelles la Grèce, l'Irlande, l'Espagne, le Portugal et l'Italie ont été confrontés à partir de 2010. Mais l'Allemagne et d'autres pays membres parmi les plus riches ont rejeté cette voie. Après un premier temps au cours duquel chaque pays membre de l'UE avait déjà dépensé des sommes importantes pour faire face à la pandémie, la Banque centrale européenne a soudain adopté une position beaucoup plus conciliante à l'égard de prêts en leur faveur. En décidant d'un plan de relance qui implique des emprunts conjoints explicites et des transferts budgétaires entre eux, les pays membres de l'UE semblent avoir surmonté un tabou historique de l'intégration européenne. Qu'est-ce qui a changé en Europe ? Par son ampleur, la pandémie de COVID-19 a provoqué d'énormes dommages économiques, y compris dans certains des pays les plus riches de l'UE comme la France et l'Italie. Les décideurs politiques ont alors compris la nécessité d'une action commune immédiate. En raison de la crise, ils ont adopté des mesures d'intégration et de solidarité entre eux qui paraissaient impossibles auparavant, aussi nécessaires soient-elles. Le Brexit y a probablement aussi contribué, car le Royaume-Uni s'opposait à toute expansion budgétaire au niveau européen. Quelle qu'en soit la raison, l'adoption d'un tel plan de relance par les pays membres de l'UE, constitue une belle avancée. Une plus grande unité a également renforcé l'idée dans le continent que l'UE peut trouver par elle-même une voie de sortie de crise. Dans ces conditions, elle peut se permettre d'ignorer ou ne pas trop s'inquiéter de la situation dans le reste du monde. Plus généralement, tout cela met en évidence les réactions très inégales face à la pandémie. Les pays avancés mettent en place des programmes d'aide massifs généreusement garantis par les banques centrales, tout en privant la plupart des pays en développement des conditions qui leur permettraient de faire de même. Une telle attitude à courte vue est contre-productive. Les problèmes immédiats et graves que posent la pandémie et la stagnation de l'emploi au niveau mondial ne peuvent être résolus, ni même correctement abordés, s'ils ne sont pas traités au niveau international. Quelle autre voie pourrait suivre l'UE? L'Europe (et les USA) pourraient réserver une petite partie de leurs plans de relance massifs à l'élimination des dettes bilatérales des pays pauvres et chercher à résoudre la question de la dette souveraine pour les créanciers privés. Plus généralement, ils ne doivent plus considérer l'aide aux pays étrangers comme un cadeau ou de la charité, mais allouer des fonds à un investissement public mondial pour atteindre des objectifs internationaux communs. Ils pourraient dès maintenant chercher à élargir considérablement l'accès des pays en développement aux devises étrangères grâce à une allocation conséquente de Droits de tirage spéciaux en leur faveur par le FMI. Avant tout, l'UE et les USA pourraient mettre fin sur le champ aux terribles inégalités d'accès aux vaccins contre le COVID-19 - des inégalités qui illustrent la stratégie erronée de l'UE. Les médias européens en parlent rarement, mais l'UE a cherché à court-circuiter le dispositif de distribution équitable des vaccins anti-coronavirus au niveau mondial, COVAX, en achetant directement des vaccins aux fabricants - ce qui en prive de ce fait le reste du monde. Pire encore, l'UE insiste pour préserver les brevets des laboratoires pharmaceutiques qui ont développé des vaccins grâce à des fonds publics, tout en profitant de la recherche publique. Cela contribue à freiner la production de vaccins, ce qui retarde l'immunisation de l'ensemble de la population mondiale. Il serait largement préférable de suspendre les brevets, voire d'accorder des licences obligatoires aux fabricants des pays tels que l'Inde dont la capacité de production de vaccins est avérée. Cela augmenterait considérablement l'offre mondiale, réduirait le risque de mutations dangereuses du coronavirus et mettrait fin bien plus rapidement à la pandémie. On réalisera très bientôt que l'UE ne pourra pas sortir de la crise du COVID-19 tant que le reste du monde continue à se débattre avec le virus. Même pour les régions riches comme l'Europe, un avenir post-pandémique durable passe par la solidarité internationale. Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz *Secrétaire exécutive du réseau d'économistes IDEAS (International Development Economics Associates) - Professeur d'économie à l'université du Massachusetts à Amherst et membre de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises.