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En lévitation
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 18 - 08 - 2021

Depuis des années en Tunisie, les difficultés s'accumulent sans solutions, éclatent les unes après les autres, remontent à la surface avec des scandales, des pertes, des morts.
Je dirais que nous n'arrêtons pas de déballer nos problèmes, de dégueuler nos dysfonctionnements, de rejeter nos microbes. L'image qui exprime le mieux notre état : ça pète de partout. L'avalanche ne s'arrête pas, même s'il y a des niches où des choses se réalisent, se créent. J'ai beau me dire que nous devons en passer par ces émergences nauséabondes, il y a des moments où l'ampleur des problèmes occupe l'espace mental, coupe la vision, fait perdre de vue ce qui se fait silencieusement, en infra souvent et sans moyens autres que la volonté, l'honnêteté ou la simple envie de faire bien... Il y a tellement à faire pour changer globalement le système, partout et à tous les niveaux, le plus compliqué étant d'arriver jusqu'aux comportements individuels.
En plus des déséquilibres internes qui apparaissent au grand jour depuis que l'écrou a sauté en 2011, la Tunisie est tiraillée entre plusieurs pôles d'intérêts internationaux. Les pays du Golfe déploient argent clandestin et investissements mal pensés. L'Europe importe à bon compte une main-d'œuvre ultra qualifiée pour combler ses manques et fournit des aides rapportant à ses entreprises et faisant travailler ses experts. Les Etats-Unis actionnent des fils comme pour un jeu vidéo (on est si loin et la position géostratégique de la Tunisie lui confère un rôle de pion de régulation). La Turquie se conduit comme un pays colonisateur. La Russie et la Chine sont en action à travers projets, entreprises et médiateurs.
En interne, le pays se trouve entre les mains de responsables, bouffés par des habitudes anciennes, des réseaux prédateurs, souvent enclins à des calculs mesquins et sans effets favorables sur la vie des gens. Quel que soit le clan choisi (en soi cette donne politique complique tout), les responsables sont convaincus de ce qu'ils croient être une nécessité vitale : s'insérer dans les marchés internationaux, contracter des accords (pour avoir des emplois), sans bon sens ni souci de l'essentiel, du primordial et surtout du territoire... Les élites tunisiennes sont prisonnières de ces recettes et imprégnées de ces prismes de la réussite, alors que tout est tracé pour des bénéficiaires ailleurs. Elles constituent les relais consentants, ou pas, formatés ou contraints devant servir à appliquer les orientations économiques. En tant qu'universitaire, je note depuis plus de vingt ans que les universités servent ces tendances et que les choix répondent à des besoins de « compétences » ressentis partout ailleurs qu'en Tunisie.
Cette logique d'exploitation extravertie n'a pas commencé en 2011 ni en 2000. C'était le cas avec Bourguiba (même si son régime a pu mettre en route la «construction» d'un édifice étatique, un dispositif d'éducation et de santé avec une ébauche de tissu économique) et sous Ben Ali (la logique du système a favorisé la concentration des ressources dans des circuits encore plus «offshore» qu'avant). Depuis 2011, les déséquilibres et l'extraversion du pays se sont accélérés, entre autres parce que la formation des «élites» a été perturbée, sans réfléchir autour du phénomène. L'université n'a pas eu sa révolution ni engagé un retour critique sur elle-même. Elle a poursuivi la même pente en se raccrochant plus fortement aux filières internationalisées, cédant à la flatterie de fournir des élites d'exception. Le pays a poursuivi ses efforts pour répondre à la «compétitivité» désirée ailleurs et ses responsables ont travaillé (souvent dans l'inconscience et parfois dans l'assentiment) à atteler davantage le secteur aux marchés environnants. Entretemps, le Maghreb économique et politique qui devrait être un espace de création et d'investissement partagé reste empêché. La dégradation des territoires et des ressources a continué son travail et c'est ce qui explique que les mouvements sociaux sont quasi quotidiens, longs et jamais résolus. Les dirigeants politiques de cette décennie se sont agités sans prêter attention à ces signaux majeurs. Par aveuglement ou irresponsabilité, ils ont à peine tenu compte de quelques avertissements : l'UGTT (l'institution -aujourd'hui vieillie et passablement réactionnaire- joue un certain équilibre depuis des décennies) a pu tempérer quelques excès... Mais la boussole de la Tunisie n'est pas orientée vers l'intérêt de ses habitants mais est au service de profits invisibles et intouchables.
La tendance est sensible dans l'enseignement supérieur depuis les années 2000 : le secteur ne cesse de dégringoler depuis plus de 20 ans. La santé publique fait partie de la même conception « managériale » et obéit à une orientation alignée sur les «marchés» de l'emploi en Europe, créant et encourageant les filières pouvant satisfaire le manque de recrues qualifiées. Les défaillances du domaine se sont révélées au grand jour avec la crise sanitaire du Covid-19 qui a coûté plus de vingt mille morts. Le secteur médical est aussi malade que les autres et les professionnels sont bien obligés de manager leurs vies et carrières en fonction des possibilités offertes. Le manque de moyens et de recrutements décourage les bonnes volontés et on voit cette profession de «notables» se dégrader d'une façon insupportable aux yeux de ceux qui la choisissent. Désillusions et déboires renforcent les départs à l'étranger. La médecine privée et publique fonctionnent de manière antinomique, entre des considérations mercantiles et réglées sur les profits corporatistes (les médecins de libre pratique résistent aux impôts), sans coordination, ni logique d'intégrer l'intérêt de la population tunisienne. La crise du Covid-19 a dramatiquement mis en évidence déficits et décalage avec le réel. L'héroïsme des volontaires n'a pas suffi, il a fallu la solidarité mise en place entre juin et juillet pour stopper la pente de la mortalité.
Le clash du 25 juillet 2021 remet sur le tapis les choix politiques des dernières années : le régime parlementaire est honni car ses représentants ont donné une image détestable de la délibération, pourtant nécessaire pour sortir du règne du Parti-Etat et du régime du parti unique. Il a fallu dix ans et l'élection-sanction de Kaïs Saïed en octobre 2019 pour que l'expérience soit tranchée arbitrairement, à force de voir la dictature parlementaire prendre des formes violentes, au sein de la coupole du Bardo. Entre déni des règles délibératives et manœuvres irrégulières, l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) est devenue une scène humiliante. L'impasse était perçue par la population et le ras-le-bol exacerbé par les problèmes économiques et sociaux s'est cristallisé sur cette assemblée caricaturale. On comprend dès lors les formes de soulagement manifestées le 25 juillet au soir à l'annonce du gel de l'ARP pour un mois et les marques de soutien à Kaïs Saïed qui font tache d'huile depuis.
Dans ces semaines de flottement, nous réalisons que nous sommes dans un croisement épineux. La situation est délicate et coûteuse car on a soigneusement «évité» des réformes (notamment dans l'éducation, dans la fiscalité, dans l'agriculture, dans le transport...), saboté des processus (la digitalisation de l'administration est empêchée pour éviter le contrôle des circuits et des procédures) et bouleversé des formes d'équilibre (déjà très précaires) pendant ces dix années post-2011.
Dans ce mois de quasi-lévitation, une inquiétude m'habite. Je souhaite d'abord que l'on évite effusion de sang et attentats. Si on échappe à ce risque, nous aurons fait un pas vers une vie politique plus saine. Il faudrait que le président de la République arrive à contenir -malgré sa popularité- de verser dans la tentation de se présenter, puis de se conduire comme un sauveur. L'armée est sûrement derrière lui et ce positionnement est en soi un équilibre périlleux. Beaucoup parlent d'une « chute » des islamistes : ils ont effectivement perverti des procédures, kidnappé des moyens, profité d'une «image» internationale bisounours sur l'islam politique. Le parti Ennahdha a certes largement contribué à mettre le pays dans l'impasse, mais il n'est pas seul, ne serait-ce que parce qu'il n'est pas majoritaire : avec moins de 500.000 voix, il représente 10% des votants de 2019. Ils ont réussi à remplacer les adeptes du RCD et de Ben Ali, en adaptant leurs rouages, en se structurant plus rapidement (10 ans au lieu des 23 du système de ZABA) dans une prédation économique sans nuances. Ennahdha et ses alliés ont épousé et suivi l'opportunisme mafieux qui a trouvé l'occasion de développer des racines et de déployer ses tentacules à l'intérieur comme à l'extérieur. Ces milieux sont à craindre car ils ont les moyens de nuire, de façon ouverte ou masquée. Les Tunisiennes et Tunisiens ont appris à les repérer au cours de ces dix ans. L'armée semble (en partie) mobilisée contre les représailles possibles. Mais serait-ce suffisant ?
Du côté de Kaïs Saïed, on nage dans le flou. Ses adeptes sont nombreux, applaudissent à ses déclarations et apparitions. Il s'exprime à travers une communication fruste qui invoque l'Etat de droit, dénonce l'usurpation du peuple et défend les démunis : le pays a besoin d'entendre ce discours après toutes les exactions subies. L'homme ne s'appuie sur aucun parti et multiplie les attaques oratoires contre le règne de ces derniers. Il ne parvient pas à garder des collaborateurs (7 conseillers ont démissionné en un an et demi) et peuple cette parenthèse de visites impromptues pour encourager les forces de l'ordre, dénoncer la spéculation à travers les dépôts frigorifiques ou honorer les femmes potières de Hay H'lel. Il se sert du défilé à la Présidence et des visites de terrain pour répondre à ses détracteurs et rassurer sur le respect de la Constitution. Malgré cette posture rigide, on doit reconnaître que sa position est difficile : il se retrouve entre la pression de la «rue» (proclamée «peuple»), des attentes démesurées et des forces internationales déroutées par ce président atypique.
Le temps est en effet court et très compté. Comment faire pour que la Tunisie se dote des institutions qui lui manquent, engage des réformes de base, arrête les mauvaises pratiques et le corporatisme qui minent les rouages de l'Etat ? En plus de la crise régnante, on doit combler les problèmes structurels (à commencer par la finance publique) et stopper la corruption enfoncée au sein de l'Etat. On ne peut pas se contenter des mesures provisoires prises jusque-là : mise en résidence surveillée, interdiction de quitter le territoire, suspension d'exercice… Il s'agit surtout que la MAGISTRATURE fonctionne «normalement», après des décennies de népotisme, de corruption et d'une poltronnerie augmentée par les tractations illicites et les complicités multipliées après 2011. Les magistrats -partis en vacances comme si de rien n'était- déclarent reprendre le 16 août. Vont-ils faire avancer les dossiers ? Nous attendons que les affaires instruites passent le cap... L'article 163 de la Constitution nous donne les moyens de poursuivre les partis et les députés qui ont bénéficié de financements étrangers. La Cour des comptes a fait son travail depuis septembre 2020 et les listes sont prêtes. Certaines affaires (comme celles de l'assassinat de Belaïd et Brahmi) sont explosives ; elles peuvent mener à des révélations qui touchent des responsables de premier plan... et susciter des représailles. Il est crucial de dénouer les liens entre le ministère de l'Intérieur et la magistrature ; or rien n'a été fait en cette direction depuis 2011. Allons-nous voir apparaître d'»honnêtes gens» ? Le courage de chaque individu doit être grand, immense. Pour le commun des citoyenNEs, comme pour les profiteurs du système, le suspense est dur à vivre. Il est peu probable que fin août on ait du neuf.
Je ne regretterai pas ce Parlement (même si son «gel» est arbitraire) et peu m'importe que la Constitution (bavarde, paradoxale et piégée par endroits) soit modifiée. Si on doit avoir des élections anticipées, j'accepte toutes les propositions techniques pour modifier le système électoral. Nous avons assez de juristes pour cela.
Je voudrais avant tout que cette nouvelle étape de la «transition» se passe sans violence. Face à ces nouvelles incertitudes, et dans cette phase où la Tunisie titube, mon optimisme est à l'épreuve... sans être complètement mort.


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