La complexité de la situation en Libye et les nombreux problèmes qui minent ce pays, risquent d'hypothéquer la tenue des élections générales prévues pour le 24 décembre prochain. Plus que 4 mois avant un rendez-vous que les invités d'Alger qualifient de crucial pour le retour de la paix et de la sécurité en Libye. Toutes leurs interventions se sont axées, cependant, sur ce qui doit être fait, au préalable, pour qu'il puisse se tenir dans les délais requis. Et ce n'est pas une mince affaire quand tous s'accordent à mettre en avant la nécessité, voire l'obligation pour les Libyens d'élaborer et de mettre en place un cadre constitutionnel, unifier leurs institutions militaires et sécuritaires sous un seul commandement, réussir la réconciliation nationale et faire sortir les forces étrangères et les mercenaires du sol libyen. En conclave à Alger pendant deux jours, les ministres des Affaires étrangères des pays voisins ainsi que les représentants des organisations régionales et internationales ont tous insisté sur ce qu'ils estiment être des priorités en vue de régler la crise libyenne. Il s'agit pour la Communauté internationale et les pays voisins d'identifier les moyens et les mécanismes qui doivent être mis incessamment en place pour aider les Libyens dans leurs rudes tâches. « Cette réunion vient à la faveur des démarches inlassables et continues que notre pays n'a eu de cesse de consentir, tant collectivement qu'individuellement à l'effet de contribuer au règlement de la crise libyenne, car cela émane de sa conviction quant à l'importance du rôle vital et axial que les pays voisins doivent jouer pour soutenir les autorités libyennes de transition dans l'exécution de toutes les échéances stipulées dans la feuille de route et l'organisation des élections prévues », a déclaré, lundi, à l'ouverture des travaux, le ministre des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l'étranger. Les efforts sont donc «inlassables et continus» depuis longtemps. Mais ce que Ramtane Lamamra n'a pas rappelé c'est que tous ces efforts ont été parasités par l'éparpillement des séquences du dialogue et des rounds de négociations entre les différentes parties libyennes en conflit à travers plusieurs capitales du monde, arabes et occidentales. Alger a été pionnière dans le lancement d'un dialogue inter-libyen en y conviant toutes les parties en conflit en vue de les réconcilier et les aider à trouver des solutions à leurs divergences. Quand la Communauté internationale divise les rangs libyens Curieusement, dès que les choses ont commencé à se clarifier dans ce sens, la Communauté internationale a décidé de tenir ce dialogue dans d'autres pays et à en tirer un accord qu'elle a fait conclure en 2015 à Skhiret au Maroc. Le dialogue inter-libyen a continué à voyager de région en région jusqu'à ce qu'il retourne à Genève pour que la Communauté internationale donne, l'année dernière, son quitus pour une feuille de route dans laquelle la tenue d'élections générales en Libye le 24 décembre prochain, figure en pôle position. Peu avant, un document de base a été rédigé, à Tunis, le 18 janvier 2020 par les soixante-quinze membres du Forum du dialogue politique libyen (FDPL). La ministre libyenne a déclaré dans ce sens à Alger que « le peuple libyen était parvenu, sous supervision internationale, à organiser la première échéance nationale à travers un Gouvernement national uni après une grande divergence de vues » en soulignant que « ce Gouvernement avait permis à la Libye de retrouver sa place à l'extérieur et a contribué au soutien des conditions de la stabilité et la coexistence internationale en interagissant avec différents Etats, mais aussi avec les pays voisins ». Si le dialogue inter-libyen a été fragmenté en plusieurs morceaux depuis son initiation par l'Algérie, c'est en évidence en raison d'intérêts géostratégiques colossaux en Libye desquels des Etats ne sont toujours pas prêts à s'en départir. Dès l'assassinat du Colonel Maamar El Kadafi, en 2011, les forces étrangères ont divisé le pays en plusieurs régions où l'hostilité règne en maître. Les pouvoirs libyens rivaux, un à l'Est et l'autre à l'Ouest, en sont une forte démonstration. Lamamra a dénoncé lundi « des plans par lesquels certaines puissances étrangères cherchent à accroître leur influence en Libye et à faire de ce pays une plate-forme pour redessiner les équilibres internationaux au détriment des intérêts stratégiques de la Libye et de ses voisins ». La menace de l'insécurité et du danger pèse lourdement sur tous ces pays limitrophes particulièrement l'Algérie qui en partage des frontières longues de près de 1.000 km. Ses homologues de la Libye, la Tunisie, l'Egypte, le Soudan, le Tchad, le Niger et le Congo tout autant que l'envoyé spécial du SG de l'ONU, Jan Kudis, du SG de la Ligue des Etats arabes, Ahmed Abou El Gheit et du Commissaire de l'Union africaine aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité, Bankole Adeoye ont tous dénoncé ces menaces. Les exigences de l'ONU « Le processus en appelle à la poursuite des efforts pour parachever l'unification des institutions de l'Etat libyen, réaliser la réconciliation nationale et chasser les mercenaires et les forces étrangères dans les plus brefs délais », a affirmé Lamamra. Ce sont les exigences de l'ONU portées à Alger par Jan Kudis. Il a énoncé de nombreux points à régler « très rapidement » pour que les élections libyennes puissent se tenir en décembre. « Le gouvernement libyen a pris les dispositions nécessaires pour la tenue des élections, mais nous avons besoin d'un cadre juridique. Les députés sont actuellement en train de finaliser la loi électorale et il nous reste encore très peu de temps. Je les ai invités à prendre leurs responsabilités et à ne pas perdre de temps », a-t-il dit, à l'ouverture des travaux de la réunion des pays du voisinage libyen. Le représentant de l'ONU a appelé à l'envoi par les pays voisins d'observateurs en Libye « au moment opportun ». La ministre libyenne des Affaires étrangère et de la Coopération internationale, Najla Al Mangouche a placé l'unification de l'institution militaire de son pays en premier, tout en considérant que le retrait des mercenaires étrangers du territoire libyen comme un préalable à la tenue d'élections « honnêtes et libres » et que la présence de mercenaires étrangers sur le sol libyen représente, non seulement, une menace pour ce pays mais aussi pour toute la région. Le Commissaire aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité de l'Union africaine (UA), Bankole Adeoye a précisé que « toute intervention étrangère devait cesser et ce dans l'intérêt du peuple libyen ». Le secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmed Aboul Gheit a tenu les mêmes propos en mettant en avant « l'unification des institutions libyennes, essentiellement militaire et sécuritaire », ainsi que « la nécessaire mise en place d'un cadre constitutionnel en prévision des élections de décembre prochain, tout autant que « la sortie des forces étrangères du territoire libyen » qu'il considère comme une « nécessité pour garantir l'indépendance de la Libye ». En plus de les convier à adhérer à l'idée de « l'organisation d'une conférence participative, au niveau ministériel, sur invitation du ministère des Affaires étrangères libyen et avec la participation de l'ONU et de tous les pays voisins et amis de la Libye pour débattre du dossier libyen», Najla Al Mangouche leur a fait part d'une volonté libyenne de construire avec eux « un partenariat stratégique, sous-tendu par la complémentarité et l'échange positif pour réaliser la paix et la sécurité en Libye et dans son voisinage immédiat». La Libye avance ses demandes La cheffe de la diplomatie libyenne a notamment exprimé des demandes claires, à cet effet, « l'unification des vues des pays voisins vis-à-vis des positions politiques en faveur des questions d'ordre politique et économique ». Elle a appelé à «la garantie de la sécurité nationale et de la coordination sécuritaire entre les pays voisins afin de contrôler les frontières, l'élaboration d'un programme de sécurité alimentaire homogène moyennant des outils économiques tout en œuvrant à la sécurisation des ressources en eau, le traitement du phénomène de la migration clandestine, l'adoption de programmes d'enseignement développés et l'échange d'expériences, le soutien à l'initiative du Gouvernement libyen visant la stabilité de la Libye ». Si cette requête libyenne pourrait être un programme de coopération à moyen et long termes, la résolution de toutes les questions posées durant ces deux derniers jours à Alger est conditionnée par la fin des ingérences des forces étrangères et le départ des mercenaires de la Libye. Al Mangouche a noté que «la chose la plus grave est l'ingérence destructrice de certains pays, qui sont contraires aux us internationaux et qui oeuvrent à créer les différends et à attiser les tensions ». Pour tenir ses élections générales en décembre, la Libye a besoin, demande sa ministre, d'« un soutien de ses partenaires et de ses alliés pour œuvrer à unifier son armée sous une direction unique pour défendre la souveraineté libyenne, intégrer les groupes armés et chasser les mercenaires et les forces étrangères qui constituent une menace à tous les pays de la région », en plus de «la sécurisation des frontières libyennes pour interdire la complicité destructrice des trafiquants d'êtres humains avec ceux qui versent dans le crime organisé ». En l'absence de mécanismes clairs et d'une volonté internationale réelle capable d'obliger les étrangers à quitter la Libye, quatre mois risquent de ne pas suffire pour que ce pays puisse tenir ses élections.