Analyse du recueil de poèmes : «Puisque tu es la Mer» d'Alima Abdhat paru aux Editions ANEP septembre 2021 Nous parlions des temporalités, pour raccorder les segments et établir les jonctions d'un rendez- vous avec la rue, C'était le rendez-vous du sacre, de l'ultime et de la métamorphose, où la révélation était esthétique et le maitre de céans poète, pour y conduire la procession, jusqu'au saisissement et à l'aboutis- sement de l'œuvre de création. C'est là où j'ai rencontré Alima Abdhat, dans une alliance d'amis (es), où l'on ajustait les rythmes sur le tempo de la procession. Ces préliminaires, sur les subtils moments de cette quête de l'autre, où l'on investit le plus pro- fond, pour déchiffrer les quelques graffitis annonciateurs, m'autorisent à encoller les bris de «vers», pour les lire à haute voix, dans le désordre voulu et l'égarement le plus total, en toute attention à la nudité minérale, qui vous épargne le détour dissimulé, en vous libérant de votre gangue métallique. «Puisque tu es la mer» est un recueil de poèmes, en vers libres, affranchi des règles de la poésie classique, qui puise ses rythmes et ses sonorités dans un jeu de langage métaphorique et allégorique, mobilisant tout un vocabulaire de la chose inanimée, pour traduire du sens et de la sensation, usant tan- tôt de masques et de tournures allusives, pour suggérer des réalités corporelles dans ce qu'elles ont de charnel et d'érotique ou opérant à découvert, dans le vif et sans nuance, pour tisser le lien millénaire entre l'homme et son univers encaissant. Un geste artistique d'une singulière neutralité, sans artifice et sans attache, juste pour irradier du beau. Les «blessures au bris du miroir invincible et cruel, les «éclats ocre et cruels», «bourdons brisés» et le «soleil émietté», dans une «eau ourdie d'éclairs cristallins», participent de cette image de l'éblouissement, qui s'impose au regard hellénisant, pour traduire l'éclatement où plus pertinemment l'écartèlement des formes et des volumes, privilégiant l'affleure- ment, «Fidèle à ses failles incertaines», à ses «ail- leurs bardés de béance» et à «l'atmosphère écartelée», davantage dans un érotisme libertin en «Flots de frissons», «Ecumes d'images et Vapeurs de plaisirs», voire carrément sexué en «plaies de coïts», empruntant à la faille et la déchirure les vertus de l'éraflure et de l'écorchement - «Entaille à la taille», «césures, ciselé» «fissures, ciselé», pour réveiller des fantasmes refoulés, dans un rêve éveillé et des envies les plus secrètes et les plus silencieuses. Dans «Puisque tu es la mer», les mots s'écoulent en silence, en traversant les «béances» de la roche abrupte, pour parvenir aux profondeurs ultimes, lieux de l'envoutement et des cérémonies religieuses. Tout est là, dans un décor de rêve, «en images et allégories», pour exprimer le monde dans toute sa nudité. C'est du libertinage et de la délivrance du corps qu'il est question, pour prétendre au salut et à la quête du moi. «Il tombe des feuilles mortes» est l'autre bout de l'extrémité, où l'instant est à l'échelle du millénaire, pour scruter l'enseveli dans ce qu'il a de plus lugubre et de sensuel. «Hume mon âme Moisie de vers libertins» et «Mille ans déjà la vermine gravite», est un langage des choses cachées et muettes, que seule une sensibilité paroxystique, de la propension de Flaubert, est à même d'en percer les mystères. C'est là où nous saisissons la portée des «vers libertins» dans l'un des versants accores de l'inconscient et du référent affectif d'Alima Abdhat. «Ecrire la nuit ce que jour n'ose dire», est un renoncement devant la fuite du temps, où l'instant s'est éteint pour échapper à la lueur du jour «Révolution» est un périple circulaire où l'épreuve se mue en réviviscence, pour insuffler au poète un silence esthétique, «Hu- main divin» est un sacrilège de poète qui, devant l'incapacité à transcender l'émoi pour parvenir au beau, s'exerce à l'imitation divine, dans des pratiques de dissociation, où vérité et mensonge se drapent des mêmes oripeaux et les objets, les formes et les couleurs se communient en alternance. «A l'endroit des mirages Et de l'Absurde» est le lieu de scellement du divorce entre l'homme et le monde, la première des vérités du Mythe de Sisyphe où l'ordre est au triomphe de l'absurde et l'inutilité, dans un rapport au temps que le poète a choisi : l'échelle du millénaire, non point comme fil de déroulement de l'histoire mais comme épaisseur de la roche, que l'on traverse de tout son corps, pour s'imprégner de ses senteurs, dans un jeu d'osmose ininterrompu : «Mille ans déjà», «Un millénaire plus tard», et «Mille mots ailés». Dans «femme fœtale», la sublime beauté se dis- pute les territoires de la légèreté et de l'ennui, jusqu'aux confins des terres brulées. Ici la beauté crépusculaire se refuse à la lueur du jour, par frayeur ou timidité, se rési- gnant à rentrer dans la coquille, pour fuir le regard viril. «Coquille sa peau fourreau son égo, Vierges ses amours sans plumes ni Grace» et «jouissance fébrile) rappelle la «Vierge et la verge», dans«L'éveil d'Eldorado», de Duccio Chiarini, «Au milieu de la coquille», c'est l'espace intra- utérin, qui est convoqué, cette première demeure, ce paradis perdu, qui a inspiré cette nostalgie asexuée. «Les fleurs dans la fange, Le gazon dans la vase, Les feuilles flétries, « Le nénuphar ridé», sont, alors, les édens de la désillusion, de la déception et du désenchantement. «Images en sursaut» est un défilement du désordre, un tout-venant de phrases sans syntaxe, un cheminement de mots qui dévalent, en cascades, dans un écoulement karstique, pour aboutir à l'exsurgence, en haut de la falaise vertigineuse (vertige). Dans «Litanie en transe», le décor est planté, «la mer de tout âge», siège d'une rivalité séculaire et d'un «face à face» permanent : la «mare Mediterraneum». Ici, «au milieu de la coquille», le désenchantement et la désillusion muent en incertitudes et en déchirements. «Vésuve en feu» et «séisme géant», procèdent d'une forme de personnification, qui ne participe pas d'une fiction enchâssée dans un imaginaire judéo-chrétien. Elle relève, ici, d'un ordre profane, qui convoque une réalité sentie, sans image et sans statuaire, puisée des entrailles de la terre et de ses vertus magmatiques. Ce n'est qu'une fois parvenue aux abysses, siège de l'inassouvi et de l'incomplétude, que s'estompe la révolte des mots et s'amorce la «remontée des millénaires». «L'escargot se sent mal dans sa coquille», le soleil, le ciel et la mer, dans une aisance parfaite, communient à l'envie, dans un nouvel assemblage de mots, plus syntaxique et mieux linéarisé, pour exprimer l'accomplisse- ment et la complétude. Une nouvelle poésie s'annonce, celle de l'étreinte et du jaillissement. «D'un génie jaillissant Soudain épouses paisibles du volcan», «L'extase silencieuse, l'être amer», «Ici l'amour résonne Ici sourdes les nuits». «Que tu sois pieds nus sur des rives escarpées», «ces rivages germés d'exils» à «l'autre rive de sa vie», ou «sur une île de roches plantureuses, c'est ce désir refoulé de «Naitre sur une autre rive», une «rive rivale», qui commande une autre lecture de rêve, à la grammaire œdipienne, pour sortir du «trou noir que tu vois là» C'est là, justement, dans les dédales de ces «mots couleurs volubiles», que se joue la tragédie katebienne, celle de la «mutilation de sa langue maternelle» et de la parade du butin de guerre : «j'écris en français pour dire aux Français que je ne suis pas français». Dire librement, en outrage et en transgression, à l'esthétique de domination voltairienne, par la création d'œuvres sublimes de l'écriture et de la narration : «Nedjma». «Quitter le temps qui passe» sera ma conclusion, pour revenir à l'instant, oubliant «la journée où l'osmose a pris feu», pour rendre aux mots leur raison et passer de la résonnance à l'explication : «Puisque tu es la mer» est un recueil de poèmes d'une portée esthétique marquante. Notre bon- heur et notre satisfaction, est d'avoir osé le risque d'y faire une immersion profonde, pour aller à la rencontre d'Alima Abdhat , là où elle nous attendait le moins, au «milieu de la coquille».