Maître Paul Bouaziz est décédé le samedi 20 novembre à Paris où il s'était installé avec sa famille en 1968. Il fut l'un des fondateurs en 1972 du Syndicat des Avocats de France, dont il hébergeait le siège dans son cabinet, mais aussi de l'Association Française du Droit du Travail et de la Sécurité Sociale (AFDT), et en 1992, du Conseil National des Barreaux (CNB) dont il présidait la Commission « Accès au Droit », tout en coordonnant parallèlement les Colloques annuels du droit social. Homme de progrès, il manifestait sa solidarité avec tous les combattants pour la liberté et le progrès en France ou ailleurs dans le monde. Mais qui se souvient de cet Oranais, natif de la rue de Mostaganem, de milieu modeste, et qui collégien allait subir les foudres du régime de Vichy, et être renvoyé de son établissement scolaire, parce qu'il était israélite, pour n'y retourner qu'après le débarquement anglo-américain de novembre 1942 ? Brillant élève du Lycée Lamoricière (devenu après l'indépendance Lycée Pasteur), il fondra en classe de philosophie le club « Cogito » (auquel participera son ami, Oranais comme lui, André Akoun - 1929-2010, le futur philosophe et sociologue, Professeur à la Sorbonne), ceci en faisant le rapprochement entre le racisme ambiant et l'oppression coloniale. Il adhère au Parti Communiste Algérien (PCA), lors de ses études de droit à Alger, pour devenir très vite le secrétaire de la cellule des étudiants communistes, et commença à nouer des relations dans les milieux « indigènes », comme on disait à l'époque, et libéraux français, comme ce fut le cas avec André Mandouze (spécialiste de Saint Augustin et premier Recteur de l'Université d'Alger en 1963). Progressivement, il se rapprocha des nationalistes, dont il devint à Oran, le vis-à-vis, pour les relations avec les communistes, et surtout, après on installation en 1950, comme avocat associé au cabinet de son beau-frère et bâtonnier Maitre Darmon, puis, avec le déclenchement en 1954 de la Guerre de Libération Nationale. Le passionné de débats intellectuels fondateur d'un ciné-club se retrouvera dans la lisière des 1940-1950 parmi les animateurs du Mouvement de la paix, au sein duquel se distinguaient aussi les jeunes professeurs de philosophie et d'histoire, les futurs célèbres universitaires parisiens, affectés à l'époque au Lycée Lamoricière (futur Lycée Pasteur), François Chatelet (1925-1985) et Marc Ferro (1924-2021). Il contribua de même à la fin de 1955 à la constitution de la Fraternité algérienne, dont le manifeste fut signé par quelque 200 personnes, comprenant des nationalistes, des communistes et des libéraux, et dont l'objectif était l'arrêt de la répression, l'ouverture des négociations et l'obtention d'un cessez-le-feu. Les intimidations policières feront avorter l'initiative au bout de quelques mois d'activités. Maître Bouaziz faisait par ailleurs partie d'un groupe d'avocats, toujours disponibles pour défendre les détenus politiques, avec notamment Simone Benamara (qu'il avait épousée en 1953) ainsi que Maître Mohamed Belbagra (qui sera certainement exécuté en 1957 en Espagne) et Maître Auguste Thuveny, arrêté en 1957 puis expulsé en France, avant qu'il ne soit exécuté à Rabat en novembre 1958, dans sa voiture piégée par la Main rouge. Paul Bouaziz et Simone son épouse sont eux-mêmes à la fin de l'année 1956 poursuivis avec d'autres militants par les forces armées d'Oran et d'Alger, et condamnés aux travaux forcés et à la saisie de leurs biens. Ils devront quitter clandestinement la France, où ils se trouvaient en déplacement, pour aller se réfugier à Prague. Ils y demeurèrent jusqu'en 1962, lui activant avec Louis Saillant (résistant et syndicaliste français) au bureau de la Fédération Syndicale Mondiale (FSM), et elle en écrivant des articles dans la presse des pays de l'Est pour faire connaitre la cause algérienne en les signant du nom de Semha El Ouahrania (au moment où Abdelkader Safer signait se son côté aussi à Prague Abdelkader El Ouahrani). A la proclamation de l'indépendance nationale, le couple reviendra à Oran, la nationalité algérienne leur est reconnue, Paul occupant même la fonction d'adjoint à la Délégation spéciale qui gérait alors la municipalité. Ils continuent tous deux d'exercer comme avocats, en défendant les plus démunis qui étaient toujours reçus avec le meilleur accueil par Mme Gilberte, la greffière du cabinet, et qui n'était autre que l'épouse du militant et ancien dirigeant communiste Paul Caballero, tous deux Oranais et morts dans l'exil. Ce cabinet était situé à proximité du théâtre d'Oran baptisé plus tard du nom de Alloula et non loin de l'actuelle place du 1er Novembre. On les retrouvera les Bouaziz de nouveau mobilisés pour défendre à partir de 1965 les militants politiques et torturés pour s'être opposés au Coup d'Etat du 19 juin 1965. Le climat de vie étant devenu pour eux-mêmes difficile, Paul et Simone devront cependant prendre pour la seconde fois le chemin de l'exil, avec leurs enfants (Irène née à Oran en 1954) et Pierre (né en 1957 à Prague), mais gardant comme nous l'avons signalé, le souffle d'humanité, le militantisme et l'engagement pour les plus humbles, et dont ils ont toujours fait preuve. A leurs enfants et petits-enfants, à leurs camarades, A tous ceux qui ont participé à leurs combats, leurs confrères des barreaux d'Oran et de Paris, A tous ceux qui les ont rencontrés et appréciés -comme c'est le cas pour les signataires de ce texte qui ont eu à échanger avec Paul Bouaziz lorsqu'il était encore dans sa ville d'Oran-, Nous présentons nos plus sincères condoléances. Que Simone et Paul Bouaziz reposent en paix ! Avec l'espoir qu'Oran et que leur pays l'Algérie ne les oubliera pas. Bibliographie : -Site du Syndicat des avocats de France (SAF) - René Gallissot (dir.) Algérie, engagements sociaux et question nationale. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier. Maghreb. Editions Barzakh. 2007 - Pierre-Jean Le Foll Luciani. De l'anti-colonialisme au droit des femmes. Les vies de Simone Benamara (1924-2011). In Revue « Clio, femme, genre, histoire » (53-2021)