Les manœuvres géostratégiques américaines se précisent, et ils ne s'éloignent guère de leur centre d'intérêt. Depuis son accession à la Maison Blanche, le Président Biden a clairement exposé sa volonté d'en découdre avec la Chine, faisant de cette confrontation la grande priorité de sa politique internationale. Pourquoi alors avoir concentré tous les efforts de la confrontation contre la Russie ? Fallait-il commencer par la Russie, en tentant de l'embourber militairement dans le conflit ukrainien, avant de se tourner vers la cible principale ? En tout cas, moins de deux mois après cette « opération militaire spéciale » des Russes en Ukraine, les Etats-Unis opèrent ce qu'on voit comme un premier pas dans l'escalade avec la Chine, à travers la visite à Taïwan d'une délégation bipartisane de six membres du Congrès américain, le vendredi 15 avril. Une visite qui a provoqué une réaction forte des autorités chinoises, en lançant immédiatement des exercices militaires maritimes et aériens autour de l'île de Taïwan alors que la délégation américaine n'a pas encore quitté les lieux. Taïwan reste le point faible de la Chine sur lequel s'articule la stratégie américaine. Ou peut-être que les Etats-Unis ont-ils eu vent d'une volonté chinoise de conclure rapidement le pacte sacré de la Chine unie, qui intègre Taïwan dans le domaine territorial de sa souveraineté nationale, dans des moments où les regards sont tournés vers l'Ukraine ? Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian, qui a sévèrement critiqué la visite du Congrès américain à Taïwan, a confirmé que l'exercice militaire était «une réponse à la visite de la délégation américaine sur l'île ». Les autorités chinoises classent cette visite dans le cadre des « signaux néfastes » des Etats-Unis sur la question de Taïwan. Est-ce une façon de précipiter une intervention musclée de la Chine à Taïwan, et donner lieu au commencement de la guerre d'usure dans la région, qui va redessiner la carte des conflits avec, d'un côté les Russes en Ukraine, les Chinois à Taïwan et une Amérique dansant le tempo entre les deux ? Le temps est-il arrivé de la grande explication que cherchent à avoir les Américains avec les Russes et les Chinois, quelques mois après le retrait de toutes les troupes militaires déployées en Afghanistan ? Cela conduit vers une transformation rapide des relations internationales, dans un climat de risque accru d'embrasement dans plusieurs régions où couvaient des conflits de faible intensité. Face aux Russes, les Américains ont renforcé l'Otan en Europe, et ils sont en passe de mettre à l'épreuve l'alliance « indopacifique » montée, en septembre 2021, avec l'Australie et le Royaume-Uni pour exercer une pression militaire sur la Chine. Bien sûr, la Russie et la Chine, des puissances économiques et nucléaires, ne sont pas des victimes expiatoires de cette nouvelle géostratégie. La riposte de ces deux pays peut chambouler tout ce qu'on concevait comme ordre mondial naturel, dont l'effondrement des devises traditionnellement fortes, comme le dollar et l'euro. La Chine, qui a constitué des stocks énormes en or, et qui a pris les devant en cédant toutes ses participations détenues par le géant de l'énergie chinois en Grande-Bretagne, au Canada et aux Etats-Unis, peut bien emboîter le pas à la Russie et exiger le paiement dans ses échanges commerciaux en Yuan, afin de réduire au mieux sa dépendance de l'Occident. Jusqu'où peut-on encore pousser le bouton ?