En voulant s'inscrire dans l'hégémonie de la nuance, certains chercheurs occidentaux semblent privilégier la mise en exergue d'une politique doucereuse, prudente et « compréhensive » des pouvoirs occidentaux. Elle leur permet ainsi de s'approprier une posture confortable. En effet, à les écouter attentivement, il s'agit surtout de ne pas « brusquer » la norme politique et juridique dominante construite autour d'une alliance de fait assumée par tous les pouvoirs occidentaux en faveur de l'occupant colonial israélien. Survaloriser les divergences entre les pouvoirs occidentaux, comme élément central dans l'analyse géopolitique, c'est occulter l'histoire des impositions et des expulsions des Palestiniens, en rappelant que 800.000 d'entre eux dès 1948 ont été contraints de fuir leurs terres, avec la complicité des pouvoirs occidentaux. Ne pas vouloir se regarder dans un miroir pour évoquer les profondes humiliations et indignités subies par les Palestiniens, c'est s'accrocher de façon mystificatrice à un déni de reconnaissance de la radicalité actuelle de la politique coloniale israélienne. Elle se traduit aujourd'hui dans le silence et les non-dits des médias et des pouvoirs occidentaux, à propos des attaques et des bombardements systématiques à l'encontre des Palestiniens de Ghaza. Une histoire de domination coloniale La rigueur scientifique n'est pas contradictoire avec l'engagement de dire les faits mais qu'ils soient articulés à leur épaisseur historique. Elle implique de mettre en perspective les événements immédiats en référence à une longue temporalité faite de souffrances, d'expulsions, d'exils et de morts du côté des Palestiniens. Les pouvoirs occidentaux ont privilégié, notamment depuis la décennie 1980, le silence douteux à l'égard de la question palestinienne dans leur agenda politique. L'oubli politique est cependant une posture qui, loin d'être neutre, indique leur consentement actif à la colonisation sioniste. La vérité est aujourd'hui implacable. L'histoire du monde depuis cinq siècles a été une histoire de domination et de résistances des peuples opprimés, expulsés et réduits à n'être rien sur leurs propres terres. L'immense anthropologue français Maurice Godelier ignoré par les médias occidentaux, en raison précisément de l'actualité de son ouvrage (2023) « Quand l'Occident s'empare du monde (XVe XXIe siècle », montre de façon fouillée et sans nuances, les crimes commis par les différentes colonisations occidentales. « Ne rêvons plus. Regardons les faits en face, sans écran idéologique et toujours à la lumière de l'histoire des peuples et des sociétés. Et pour nous Occidentaux, n'oublions jamais les sources, les étapes, les formes et les conséquences de la domination de l'Occident sur le reste du monde qui dure depuis cinq siècles ». Les sens profonds attribués aux évènements La bifurcation est une façon de sélectionner les faits en adéquation avec la façon dont on perçoit l'Histoire de la domination. En la niant, on ne peut donc que logiquement s'appesantir sur une analyse superficielle, immédiate, sans questionner les sens profonds attribués aux événements. C'est une démarche diabolique et arbitraire. Elle oublie la façon dont se sont imposés par la force, la terreur et l'horreur, les pouvoirs occidentaux dans les différentes régions du monde. Force est de relever que l'histoire du présent peut se définir aussi par la reproduction de la domination des pouvoirs occidentaux sur le monde. Certains analystes font fi de cette dimension structurelle, en partant du présupposé erroné qui consiste à privilégier une illusoire symétrie entre les deux nations, comme si de rien n'était... Faire comme si l'histoire de toutes les violences coloniales en Palestine n'a été que des péripéties accidentelles et sans lendemain. Les tensions liées à une colonisation de peuplement dans la région du Proche-Orient ne s'effaceront pas en invoquant le « vivre ensemble » fictif, tant que la décolonisation de la Palestine n'aura pas lieu. Aujourd'hui, le sentiment partagé par les peuples du monde arabe est de considérer avec rage et colère que la vie des Palestiniens n'a pas la même valeur que celle des Israéliens. Cette colère liée à juste titre à une mort sélective, soumise à une profonde inégalité et injustice, représente la dimension centrale dans le renforcement de la fracture entre l'Occident et l'Orient, représente une terrible et dramatique « panacée » pour ceux qui ne cessent de prôner avec arrogance le « choc des civilisations ». Les mots ne s'oublient pas... Les mots ont leur importance. Ils ne s'oublient pas facilement dans la mémoire collective. Quand le ministre de la Défense israélien prononce publiquement ce propos raciste et indigne d'un responsable politique, en l'occurrence : « Ce sont des animaux humains », il ne fait qu'investir activement la figure du colon dominateur qui se donne le « droit » d'étiqueter « d'inférieur » le peuple palestinien. Mobiliser le mot de « terroriste » de façon isolée, effaçant ses significations réelles, indissociables d'une logique de domination coloniale, c'est encourager de façon cynique la stigmatisation du peuple palestinien. C'est aussi le fabriquer dans un usage médiatique et idéologique, forgé dans une croyance mystique et répétitive, pour montrer avec émotion à l'opinion publique occidentale ce que veut dire le mot « terroriste ». Il permet ainsi tous les amalgames possibles. Rappelons avec Michel Foucault, la prédominance de la « dé-démocratie » en Occident. Elle se traduit, aujourd'hui, par la criminalisation du mouvement de solidarité avec le peuple palestinien. Ce qui est clairement une castration de la pensée libre dans un pays comme la France de Voltaire, Emile Zola, et de tant d'autres écrivains engagés pour permettre la liberté d'expression. Terminons par les propos de Maurice Godelier : « On n'exporte pas la démocratie. On n'impose pas la démocratie. C'est au peuple à la vouloir et de lutter pour qu'elle existe. Respecter ces principes, est un impératif catégorique pour que naisse un nouvel ordre mondial moins conflictuel ».