Et je sais que de moi tu médis l'an passé. - Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ? Reprit l'Agneau, je tette encore ma mère. - Si ce n'est toi, c'est donc ton frère. Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens : Car vous ne m'épargnez guère, Vous, vos bergers, et vos chiens. On me l'a dit : il faut que je me venge. Là-dessus, au fond des forêts, Le Loup l'emporte, et puis le mange, Sans autre forme de procès. ( Jean de la Fontaine, Le Loup et l'agneau») Force est de reconnaitre à ces universitaires français , pour leurs multiples publications qui portent sur le même thème, le mérite fort louable d'avoir procédé à un travail de déconstruction, de dénonciation et de dédommagement mémoriel. Ces supercheries historiques , idéologiques et culturelles seront également dénoncées aux Etats-Unis par L'intellectuel Edward.G.Saïd qui, en dépit de ses origines palestiniennes et de sa position vulnérable et enclavée au sein d'une constellation d'intellectuels islamophobes et néoconservateurs, trouvera malgré tout assez de courage pour dénoncer et décrire les rouages complexes , vicieux et viciés auxquels a été soumis l'Occident pour amasser « savoir et imaginaire » sur les autres cultures et notamment sur l'Orient. Une idéologie spécifique par son enracinement dans des objectifs politiques et économiques. « L'Orientalisme exprime et représente cette partie, culturellement et même idéologiquement, sous forme de discours, avec, pour l'étayer, des institutions, un vocabulaire, un enseignement, une imagerie, des doctrines et même des bureaucraties coloniales et des styles coloniaux…. Je soutiens que , si l'on n'étudie pas l'orientalisme en tant que discours , on est incapable de comprendre la discipline extrêmement systématique qui a permis à la culture européenne de gérer – et même de produire – l'Orient du point de vue politique , sociologique , militaire , idéologique , scientifique et imaginaire pendant la période qui a suivi le siècle des lumières » Ces Universitaires français ou américains, nonobstant la différence de leurs domaines de recherche et de leur profil, ne manqueront pas toutefois de buter sur les mêmes réalités incontournables pour quiconque se donne la peine de traiter le même sujet avec autant de rigueur, d'objectivité, et de probité intellectuelle. On remarquera dans leurs travaux l'étonnante identité des processus mis en jeu dans cette altérité qui est source de conflits et d'iniquités indescriptibles. Un même réquisitoire, un même verdict, une même sémantique : Pour Pascal Blanchard et Nicolas Blancel « L'Occident invente le sauvage », pour Edward.G.Saïd « L'Occident crée l'Orient » Bien évidemment même si l'Orientalisme est appréhendé selon ses différentes acceptions, celle qui nous intéresse ici et à laquelle fait référence E.G.Saïd reste la suivante : L'Orientalisme est un style occidental de domination, de restructuration et d'autorité sur l'Orient. Il serait quasiment impossible de recenser l'immense ramassis d'observations puériles dont les auteurs en ont voulu faire des théories scientifiques. Il s'en trouvera des philosophes, des écrivains, des hommes politiques et même des scientifiques pour tenter, par des « clichés » dérisoires que l'histoire finira par étioler, de fossiliser des réalités humaines et sociales dont la nature même était vouée au changement, à l'évolution. Explorateur, géographe, historien, troubadour observateur, celui-là même qui enseigna durant sa vie de bohème la Littérature à Alger, je cite Gautier.R.F – nous fit l'honneur de diagnostiquer nos tares dans son recueil de gribouillis : « Le maghrébin parmi les races blanches représente assurément le traînard resté loin en arrière... privé de sens critique rationnel... Il n'a pas le sens du réel. L'esprit oriental est au rebours du notre.» Voilà, en somme, on a été, on a déjà été pesé, estimé, adjugé et vendu. Les débats sont clos. Toutes les politiques d'étiquetage et de stigmatisation sont d'emblée arbitraires dans leurs méthodologies et dans leurs objectifs, le rapport qu'elles amorcent avec l'Altérité (Pays, groupes sociaux ou individus) reste un rapport fondé exclusivement sur le confinement, la marginalisation, l'exclusion, le rejet, la neutralisation, l'éradication symptomatique ou totale. (Annexion, colonisation, ghettos, enfermement, blocus, embargo…). « L'Ecole de Chicago » nous a laissé des pistes de réflexions sociologiques fort intéressantes au sujet de ces notions d'Etiquetage, d'Interactionnisme et d'Intersubjectivités qui forment le plus souvent arbitrairement notre vision du monde par le biais d'une accumulation de connaissance(s) et d'une compréhension qui ne témoignent pas forcement de la réalité. Le sociologue américain Erwin Goffman disait que « le normal et le stigmatisé ne sont pas des personnes mais des points de vue », d'autres sociologues comme Alfred Schütz, inspiré par les travaux de Husserl évoquent cette notion de « Typicité » qui renvoie à un ensemble de schèmes interprétatifs qui caractérisent notre connaissance familière et commune des choses perçues par le biais d'intérêts et de sens communs.Dans son livre « La conquête de l'Amérique, la question de l'autre » ? Le philosophe français Tzvetan Todorov décrit cette motivation hégémonique qui régnait lors de ces conquêtes coloniales et qui ne laissait aucune place à la découverte des Indiens dans la singularité de leur culture et de leur identité. Il affirme aussi que la découverte de l'Amérique s'est donc faite dans l'adversité par des jugements de valeur, des contraintes, des prêts d'intention, et finalement par une approche ethno-centrée et non Altéro-centrée. Les prétextes de l'Humanisme et de la volonté de civiliser n'ont hélas été que d'insignifiants épiphénomènes. Le philosophe Tzvetan Totorov évoque évidemment les trois mobiles de conquête les plus connus : la richesse (l'or), la possession de la nature et l'expansion du Christianisme. Fort malheureusement, l'histoire ne nous donne pas toujours à voir ce triptyque qui fait office de cocktail de bonnes intentions mêlées habilement à d'autres projets purement mercantilistes. Le plus souvent, le profit finit par submerger tous les autres motifs, se déployer et se faire valoir comme l'unique raison qui animera à travers l'histoire cette irrésistible volonté qu'aura l'Occident d'aller voir ce qui se passe chez les autres. Cinq siècles de tragédies et de faux fuyants continuent sous d'autres formes toujours flagrantes à se projeter dans des lendemains qui se répètent à travers des cycles d'asservissement et de drames humains. A suivre